Empédocle
Au sommet de l’Etna, debout près du cratère,
Comme Héraclès devant le bûcher de l’Oeta,
Embrassant du regard l’Océan et la terre,
Empédocle adora la nature et chanta :
Miroir de l’Infini, flots de la mer divine,
Gouffre inviolé, grand horizon bleu !
Lampes du ciel profond dont la nuit s’illumine,
Peuples de l’espace, étoiles de Dieu !
Éternelles forêts, mystérieux ombrages,
Arôme enivrant qu’exhalent les bois !
Ô solitude sainte ! ô voluptés sauvages !
Bonheur indécrit, liberté sans lois !
Ô Nature éternelle, impénétrable, immense !
Ton temple est l’éther, les monts tes autels ;
Dans ta nudité chaste et ta toutepuissance
Je viens t’adorer, loin des bruits mortels.
Ta flamme, d’où jaillit l’étincelle éphémère
Qui donne la vie au néant glacé,
M’a tiré de la nuit originelle, ô Mère !
Ton lait m’a nourri, tes bras m’ont bercé.
Je me suis enivré de ce sommeil sans rêve
Que verse aux forêts le vent des hivers,
Et de ce lent réveil du printemps, quand la sève
Couronne les bois de feuillages verts.
J’ai, tour à tour poisson muet dans le flot sombre,
Taureau dans les champs, aigle dans le ciel,
Lion dans les déserts, sous ses formes sans nombre,
Pas à pas suivi l’être universel.
Mille fois retrempée à la source des choses,
Mon âme agrandie, en son vol joyeux,
Par l’échelle sans fin de ses métempsycoses,
Va de l’arbre à l’homme, et de l’homme aux dieux.
Maintenant il me faut une dernière épreuve ;
Je pars, mais je sais, en quittant le port,
Car déjà du Léthé j’ai traversé le fleuve,
Qu’un autre soleil luit sur l’autre bord.
Zeus, éther créateur, flamme, aliment des mondes,
De ton foyer pur l’esprit émané
Y retourne : et toi, Terre aux entrailles fécondes,
Je te rends ce corps que tu m’as donné.
Des souillures des sens l’âme humaine se lave
Comme le métal qu’épure le feu ;
Etna qui me reçois dans ton ardente lave,
Du sage qui meurt tu vas faire un dieu !
D’un suprême sourire il salua la terre,
Et l’Etna l’engloutit dans son brûlant cratère,
Et bientôt du volcan le reflux souterrain
Rejeta vers le ciel ses sandales d’airain.
Mais, ainsi qu’un navire aux vents livrant ses voiles,
L’esprit du sage errait audessus des étoiles.
Rêveries d’un païen mystique