La Grâce
Ô vous qui ne cherchez que ces rimes impures,
Des plaisirs séduisants dangereuses peintures.
Sur mes chastes tableaux ne jetez pas les yeux ;
Fuyez : mes vers pour vous sont des vers ennuyeux ;
Des sons de la vertu votre oreille se lasse.
Profanes! loin d’ici, je vais chanter la
Grâce.
De l’humaine raison cette
Grâce est l’écueil.
L’homme, qui pour appui ne veut que son orgueil,
Ose opposer contre elle une audace insolente.
Ses plus chers défenseurs n’ont qu’une voix tremblante,
Et, contents de gémir, lorsque presque en tous lieux
Leurs cruels ennemis triomphent à leurs yeux,
Ils déplorent des jours où la foi refroidie,
Et de l’amour divin la chaleur attiédie,
Déjà des derniers temps annoncent les malheurs.
Pour de si grands périls c’est trop peu que des pleurs :
Si la timidité fait raire les prophètes,
La colère ouvrira la bouche des poètes.
Oui,
Seigneur, j’entreprends de lui prêter ma voix :
Tout fidèle est soldat pour défendre tes droits :
Si, par ta grâce, ici je combats pour ta grâce.
Rien ne peut ébranler ma généreuse audace.
Dussent les libertins déchirer mes écrits :
Trop heureux si pour toi je souffre des mépris !
Que ta bonté, grand
Dieu, veuille me rendre digne ;
De tes riches faveurs, faveur la plus insigne!
Pour en être honorés tes saints ont fait des vœux.
Et moi j’en fais pour vivre et pour mourir comme eux.
Daigne donc agréer et soutenir mon zèle :
Tout faible que je suis, j’embrasse ta querelle.
La
Grâce que je chante est l’ineffable prix
Du sang que sur la terre a répandu ton fils :
Ce fils, en qui tu mets toute ta complaisance,
Ce fils, l’unique espoir de l’humaine impuissance,
À défendre sa cause approuve mon ardeur ;
Mais, animant ma langue, échauffe aussi mon cœur :
Que je sente ce feu qui par toi seul s’allume.
Et que j’éprouve en moi ce que décrit ma plume ;
Non comme ces esprits tristement éclairés
Qui connaissent la route et marchent égarés.
Toujours vides d’amour et remplis de lumière
Ardents pout la dispute et froids pour la prière.