Les Limites de la Raison
Faut-il, dit le déiste, enchaîner la raison ?
N’est-elle pas du
Ciel le plus précieux don ?
Et pouvons-nous penser qu’en nous l’Etre suprême
Veuille étouffer un feu qu’il alluma lui-même?
Il l’alluma sans doute, et cet heureux présent.
Par son premier éclat, guidait l’homme innocent.
Aujourd’hui presque éteinte, une flamme si belle
Ne prête qu’un jour sombre à l’âme criminelle :
Mais la foi le ranime avec un feu plus pur :
Et d’indignes mortels l’osent trouver obscur!
Quand par bonté pour eux un
Dieu se manifeste.
Il leur en dit assez, qu’ils ignorent le reste.
Jusques au temps prescrit le grand livre est scellé.
Pour nous confondre, hélas.’ que n’a-t-il pas voilé !
Pourrons-nous pénétrer ses mystères sublimes.
Quand ses moindres secrets sont pour nous des abîmes ?
La nature à nos yeux sans cesse vient s’offrir ;
Le livre à tout moment semble prêt à s’ouvrir.
Que de siècles perdus sans que rien nous attire À rechercher du moins ce que l’homme y peut lire!
Ec lorsque nos besoins, le temps et le hasard
Nous contraignent enfin d’y jeter un regard.
Instruits de quelques faits, en savons-nous les causes?
Attentif au spectacle, en vain tu te proposes.
Philosophe orgueilleux, d’en suivre le dessein ;
En vain tu veux chercher la nature en son sein :
Là tu trouves écrit :
Arrête, téméraire!
Nul de vous n’entrera jusqu’en mon sanctuaire.
Oui, même en ces objets si présents à nos yeux,
Tout devient invisible à l’oeil trop curieux;
Et celui qui captive une mer furieuse,
Borne aussi des humains la vue ambitieuse.
Pour sonder la nature ils font de vains efforts :
Us en verront les jeux, et jamais les ressorts.
Partout elle nous crie :
Adorez votre maître;
Contemplez, admirez, jouissez sans connaître.
D’une attentive étude embrassant le parti.
Du sein de l’ignorance un mortel est parti.
A-t-il tout parcouru ?
Pour fruit de tant de peine, À l’ignorance encor son savoir le ramène.