Enfantines

Louisa Siefert
par Louisa Siefert
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I

« Elle excuse tout, elle croit tout, elle espère

tout, elle supporte tout. »

I Corinthiens, XIII, 7.
La grand’mère s’était assise, avait tiré

Le saint livre du vieil étui tout déchiré,

Avait pris dans saint Paul à la première Épître

Dite « aux Corinthiens » le treizième chapitre,

Avait placé le livre ouvert sur ses genoux,

Puis appelé près d’elle, avec un ton très-doux,

Son petit-fils. L’enfant, de ses lèvres pourprées,

Épelait lentement les syllabes sacrées.

Il apprenait à lire et soupirait souvent

De prendre tant de peine à devenir savant,

Au lieu de s’amuser et faire du tapage ;

Et de tant s’appliquer sur cette grande page

Où tous les mots semblaient de la moitié plus longs,

Au lieu d’aller courir après les papillons.

Mais tout en soupirant, il en était à lire

Le septième verset, lorsque avec un sourire,

Détachant ses regards du livre de la foi :

« O grand’mère, dit-il, la charité, c’est toi ! »
Mai 18…
II
Quand Margot et Ninon, beaux enfant blonds et roses,

Aux grands yeux bleus naïfs regardant toutes choses

En face, avec surprise et curiosité,

Ont le matin bien lu, bien écrit, bien compté,

Et mérité par là leur grande récompense

(Ce qui n’arrive pas tous les jours, comme on pense !) ;

A ma porte, le soir, avec leurs petits doigts

Elles viennent frapper, d’une douce voix :

« Hé ! cousine, entends-tu ? vite, ouvre ! » disent-elles.

Alors sans déranger rien dans mes bagatelles,
Sans parler à l’oiseau, sans réveiller le chat

Qui s’enfuirait au bruit de peur qu’on le touchât,

Ninon prend une chaise avec un air très-grave,

Tandis qu’à pas de loup Margot, furtive et brave,

Cherche un livre, le vient jeter sur mes genoux,

Et, rouge de plaisir, s’écrie : « Oh ! tiens, lis-nous

« Des vers bien beaux, veux-tu ? nous avons été sages. »

Et moi, baisant au front ces gracieux visages,

Si je demande : « Eh bien, qu’est-ce que vous voulez ?

« Quels vers aimez-vous mieux dans tous ceux-là ? parlez. »

Les deux mignonnes sœurs, de leurs voix argentines,

Ouvrant en même temps le livre aux Feuillantines,

Me répondent toujours : « Lis-nous, c’est si gentil,

« Monsieur Victor Hugo quand il était petit ! »
Mai 18…
III
Margot rêve, sa tête penche

Vers l’épaule d’un air profond ;

Ses grands yeux d’un bleu de pervenche

Errent du plancher au plafond.
Sur sa petite robe noire

Ses mains tombent négligemment,

Ses cheveux que le soleil moire

Sont dans un désordre charmant.
Sa lèvre qu’un soupir soulève,

Ou qu’un soupçon plisse parfois

Reste muette. Margot rêve :

Ce n’est pas la première fois.
Depuis peu de temps son grand-père

Est mort ; et sur ce front glacé,

Que nul sourire ne tempère,

Triste, elle l’avait embrassé.
Des hommes noirs au cimetière

L’avaient porté, puis laissé là

Tout seul, sous une grosse pierre.

Margot avait su tout cela.
Maintenant sa mère et sa bonne,

Quand elle en parlait, lui disaient :

« Il ne reviendra plus, mignonne,

« Il est au ciel ! » et se taisaient.
Au ciel ! le mot était étrange ;

Le ciel, c’est si haut et si loin !

Margot pensait bien qu’un bon ange

De son grand-père aurait pris soin.
Mais quel effet ce vieux visage

Pouvait-il produire ; et comment

Avait-il fait ce grand voyage,

Lui qui marchait si lentement ?
Margot rêve : ses regards plongent

Jusqu’au fond de l’éternité ;

Ses grands cils recourbés s’allongent

Sur sa joue au frais velouté ;
Ses mains s’ouvrent inoccupées :

« Ah ! bien sûr, dit-elle en cherchant,

« Que, tout comme aux vieilles poupées

« Qu’on rapporte chez le marchand,
« Aux grands-pères, aux pauvres veuves,

« A ceux qu’il prend dans leurs vieux jours,

« Le bon Dieu met des têtes neuves

« Afin qu’ils soient jeunes toujours ! »

Louisa Siefert

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