Les Papiers de famille

Louisa Siefert
par Louisa Siefert
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Comme le vent d’automne emporte,

Pour les ranimer un instant,

Fleur desséchée et feuille morte,

En son tourbillon inconstant,
Dans ces lettres, tristes trophées,

Pauvre tas de papier jauni,

Vibre aussi par molles bouffées

Le grand souffle de l’infini.
O spectres qu’aujourd’hui je touche,

Chers inconnus que j’entrevois,

La mort en vain clôt votre bouche :

Jusqu’à moi parvient votre voix !
Ils passent, procession lente,

Tous amoureux et tous déçus,

Cachant dans leur âme brûlante

Leurs vieux secrets inaperçus :
– Charmant, timide, enfant encore,

Tout à ses rêves séduisants,

Naïf et pur comme l’aurore,

Celui-ci meurt à vingt-deux ans.
Il aimait sa sœur et sa mère,

A peine eut-il au dernier jour

La vision de la chimère,

Le désir du premier amour.
La mort déjoua la souffrance

Qui le guettait sur le chemin,

Il partit avec l’espérance,

Croyant encore au lendemain.
– Celui-là, cœur de jeune fille,

Dès ses premiers ans attendit

La paix au sein de la famille :

La tombe seule l’entendit.
Toujours tendre et mélancolique,

Mais brave et fier, ç’avait été

Un soldat de la République,

Se battant pour la liberté.
Poésie, amour, héroïsme,

Tout trouvait son écho chez lui,

Et, des clairs rayons de ce prisme,

Quand il mourut, tout avait fui.
Hélas ! illusion ravie,

O vieille histoire ! ô thème usé,

Éternellement vrai ! La vie

En passant l’avait écrasé.
Le sourire un jour sur sa lèvre

Vient se heurter au désespoir ;

Tout fut dit alors et la fièvre

L’eut bientôt mis sous le drap noir.
– Une ombre de morne cortège

Se détache : Voici venir

La vieille fille au front de neige :

Autre image, autre souvenir !
Elle contait avec finesse

Et faisait rire ses amis ;

Mais certain temps de sa jeunesse,

Par elle, était toujours omis.
« Laissons cela, je vous en prie, »

Disait-elle à qui la pressait,

Et sous sa paupière flétrie

Parfois une larme glissait.
Ainsi vécut et mourut-elle,

Son secret en elle enfermé,

A quatre-vingt-dix ans fidèle

A celui qu’elle avait aimé.
– Vivifiant cette âme triste

De sa bonne et franche gaîté,

Son oncle l’encyclopédiste

Lentement marche à son côté.
Voyez-vous, sous cet air bonhomme,

Sous cette apparente douceur,

Celui qui s’en revint de Rome

Philosophe et libre penseur ?
Oh ! le singulier caractère,

Hardi, moqueur et souriant,

Que cet abbé qu’aimait Voltaire

Et n’aimait pas Chateaubriand !
– Je fouille encore : ô rêveries,

De nouveau vous pouvez partir !

Je trouve ici des armoiries,

Là, la légende d’un martyr !
Le cachet n’a rien de sinistre :

Des fleurs, délicat ornement,

Un casque à trois fleurons, un sistre

De Minnesinger allemand ;
Puis deux fois la boucle héraldique,

Emblème de fidélité,

Qui, dans un tournoi mélodique,

Fut peut-être un prix remporté ;
C’est tout. Mais cela seul éveille

Un fantôme de troubadour,

Sistre à la main, fleur à l’oreille,

Vivant de musique et d’amour.
– La légende au contraire est grave :

Dans les arcanes du passé

Avec du sang elle se grave,

Et le sang n’est pas effacé.
C’était au temps des dragonnades,

Les Cévennes étaient en feu ;

Vieillards, enfants, blessés, malades,

Les proscrits fuyaient en tout lieu.
Un de ceux-là qui pour Guillaume

Et sa cause avaient tout quitté,

Jeune, libre, hors du royaume

Vivait alors en sûreté.
Mais à ce long cri de souffrance :

« Là-bas on a besoin de moi »,

Dit-il, « il faut rentrer en France,

« Puisque l’on y meurt pour la foi ! »
Il part, les périls sont sans nombre ;

Il les brave, passe au milieu,

Et commence à servir dans l’ombre

La ligue des enfants de Dieu.
Mais, tandis que de grotte en grotte

Il errait, joyeux de son sort,

On le trahit, on le garrotte ;

Enfin on le condamne à mort.
Sur la place publique à Nîme

On roua vif le protestant,

Sans que, généreuse victime !

Sa foi faiblît un seul instant.
– Après cette noble figure

Qu’illumine un rayon d’en haut,

Tout rentre dans la nuit obscure

Où les documents font défaut.
Et maintenant, fleuve qui roule

De sombres flots multipliés,

Devant mes yeux passe la foule

Des inconnus, des oubliés.
Hélas ! ces flots aux ondes noires

Bientôt reviendront engloutir

Ces douces et chères mémoires

Qu’une heure j’en ai fait sortir.
Le souffle, qui me les apporte,

Pour jamais les remportera,

Car de mes souvenirs, moi morte,

Ici-bas qui se souviendra ?
Peut-être alors un enfant triste,

Pour qui je serai le passé,

D’un œil de poëte et d’artiste

Scrutera ce feuillet froissé,
Et dira, le cœur ému comme

Le mien l’était en écrivant :

« Rien de ce qui se perd pour l’homme

« N’est perdu pour le Dieu vivant ! »

Juillet 18…

Louisa Siefert

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