Vivere memento

La vie est si souvent morne et décolorée,

A l’ennui l’heure lourde est tant de fois livrée

Que le corps s’engourdit,
Et que l’âme, fuyant les épreuves amères,

S’envole et vient saisir à travers les chimères

L’idéal interdit.
On trouve ainsi l’oubli des autres, de soi-même,

On n’est plus de la terre, on plane, on rêve, on aime,

Toute chose est à vous ;
La notion du vrai si bien est renversée

Que, dans vos doigts, les fils, dont la vie est tissée,

Semblent soyeux et doux.
Sondant imprudemment ce que Dieu vous dispense,

On veut que tout travail porte sa récompense

Et tout arbre son fruit.
On repousse un devoir humble, austère ou stérile,

Et cette paix factice à la fin vous exile

De ce monde de bruit.
On meurt en peu de temps lorsqu’on vit cette vie ;

Cette ivresse d’esprit du sommeil est suivie.

On s’éveille au tombeau.
Plus charmeresse encor que la mélancolie,

Comme un souffle léger cette douce folie

Éteint votre flambeau.
Si jamais âme humaine a goûté ce vertige,

Et, semblable à la fleur arrachée à sa tige

Que soulève le vent,
Si jamais un esprit a délaissé la terre,

Ce fut moi, dans les jours où j’aimais à me taire

Pour m’en aller rêvant.
Que de fois je mentis à ma propre souffrance,

Alors que s’élançait au loin mon espérance

Fraîche et riante encor !
Que de fois ce semblant de liberté bénie

A brillé dans ma nuit obscure, indéfinie,

Avec des rayons d’or !
Et pourtant, non ! malgré sa lueur scintillante,

Son prisme éblouissant, cette flamme brillante

N’était pas la clarté.
Ce leurre décevant, qui vient et se retire,

Décuple en vous trompant le sévère martyre

De la réalité.
Car la loi de la vie est sérieuse et grave ;

Comme le temps au front met la ride et la grave

Avec son sur couteau,
Ainsi profondément dans notre âme indécise

Inscrivons ces deux mots de latin pour devise :

Vivere memento !
Oui, souviens-toi de vivre ; oui, malgré la tempête

Ne t’abandonne pas, ne courbe pas la tête,

Résiste, espère, crois !
Ne fuis pas, âme triste, aux sphères inconnues,

Mais, labarum sacré ! si tu sondes les nues,

Vois-y luire la croix !
Dieu t’a donné le corps pour prison sur la terre,

Il t’astreint à l’épreuve, à la souffrance austère,

À la misère, au deuil.
Le premier cri de l’être, arrivant en ce monde,

Est un cri de douleur, dont l’angoisse profonde

Ne finit qu’au cercueil.
La vie est un combat sans repos ni relâche.

Lutte donc vaillamment. Le désespoir est lâche :

Dieu hait la lâcheté !
Chaque jour il nous rend par un nouveau prodige

La force et la vertu, mais de nous il exige

La bonne volonté.
Il est dans sa bonté ton secours, ta ressource,

De toute chose il est la fin comme la source,

Le but & le moyen.
S’il t’a donné la vie avec devoir de vivre,

Quand le joug est trop lourd, lui-même te délivre

Et te sert de soutien.
Marche donc devant toi d’un cœur contant et brave,

Laisse aux faibles l’oubli qui restreint et déprave,

Vie et sache pourquoi !
Vis par le dévoûment, vis par le sacrifice,

Vis par la vérité, par la pure justice,

Vis aussi par la foi !
Vis par la liberté, par la joie et les larmes,

Vis par l’art créateur qui des maux fait des charmes,

Par le divin espoir ;
Vis par la charité, vis par la patience,

Par l’amour pur, vainqueur de l’âpre expérience,

Et vis par le devoir !
Vis et marche en avant, forte de la pensée

Que la vie éternelle est pour nous commencée

Dès notre premier jour,
Et que Dieu qui te voit, Dieu, le Saint et le Juste,

Promet à ton travail la récompense auguste

De son immense amour !
— Hélas ! je t’entends bien, voix chrétienne et stoïque,

Tu me montres le but idéal, héroïque,

Que mon âme comprend.
Mais la force me manque et parfois le courage ;

L’étoile disparaît derrière le nuage

Et le doute me prend.
Comme un cheval ardent couvre son mors d’écume,

En stériles efforts tristement je consume

Mon jeune sang qui bout.
Mes pieds se sont meurtris aux pierres de la route,

La bataille perdue est changée en déroute

Et je me sens à bout.
Je songe et je regarde, ô vanité bornée !

Que sont les jours de l’homme et qu’est sa destinée

Devant l’éternité ?
Ce qu’est l’herbe jetée au gouffre formidable,

Ce qu’est ce monde-ci perdu dans l’insondable

Et dans l’immensité !
Seigneur, qui restes seul immuable et paisible,

Que suis-je, atome vain de ce globe invisible

Pour m’adresser à toi ?
Hélas ! j’ai tant souffert, console-moi, mon Père ;

Viens secourir l’enfant qui ploie et désespère ;

Éternel, réponds-moi !
Octobre 18…

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Louisa Siefert Apprenti Poète

Par Louisa Siefert

Louisa Siefert, née à Lyon le 1er avril 1845 et morte à Pau le 21 octobre 1877, est une poétesse française.
Louisa Siefert (1845 - 1877) était une poétesse française qui a laissé une poésie empreinte de douleur mais soutenue d’un vif spiritualisme protestant. Son premier recueil de poèmes, Rayons perdus, paru en 1868, connaît un grand succès. En 1870, Rimbaud s'en procure la quatrième édition et en parle ainsi dans une lettre à Georges Izambard : « J'ai là une pièce très émue et fort belle, Marguerite […]. C'est aussi beau que les plaintes d'Antigone dans Sophocle.»

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