Fiançailles pour rire

Louise de Vilmorin
par Louise de Vilmorin
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Amants et séducteurs de belles imprudentes

Dans les chambres perdues passagers d’une nuit,

Le sort aux mille doigts vous indique la plante

Qui grimpe son conseil des jardins jusqu’aux lits.
Captifs de l’enfance, vous rêviez d’être Princes

Battant monnaie d’amour au battement des cœurs,

Lorsque vous regardiez passer dans la province

Les robes du hasard qui portaient vos couleurs.
Volants volant, belles robes sans pieds ni têtes,

Cortège de dentelle aux lisières des bois,

J’ai beaucoup de ces robes pour un soir de fête,

Beaucoup de rêves à déshabiller en moi.
Ah ! rêves en gants blancs, ma main tourne une page :

Elle est noire d’ennui. Ah ! rêves en gants noirs,

Je tourne une page : Roi de cœur en voyage.

À la tour de l’adieu l’oiseau pose un mouchoir.
Et sur la pente des faux jours j’entends l’abeille

Au violon de sucre, empeser les rameaux

Que tresse un bohémien entouré de corbeilles

Avec les herbes drues coupées au bord de l’eau.
C’est demain le jour des fiançailles pour rire,

La page ne ment pas et la plante à mon mur

Grimpe son bon conseil jusqu’à mes mains de cire

Et mes épaules blanches et bleues de ciel pur.
Il va me dire : « Bonjour Madame la Lune »,

Et je le suivrai aux ruines d’un château

Que ronge le lierre et bat le vent des dunes,

Fiancée n’emportant que son cœur pour trousseau.
Sa belle main alors décrira dans l’espace

Les créneaux effondrés où guettaient les seigneurs

Et l’humble chapelle qu’incendia la grâce

Et qu’un cierge fantôme éclaire aux Chandeleurs.
À travers des salons devenus botaniques

Il cueillera pour moi les roses aux cloisons,

Sur le cadre moussu d’un portrait historique

Veillera l’insecte qui fait perdre raison.
D’un violon de sucre, une abeille hardie

Tirera les notes des baisers à venir,

Je me ferai souple pour que ma taille plie

À mon bras d’aventure et à son bon plaisir.
Nos vœux nous ouvriront une chambre lointaine

Tapissée de damas et meublée d’arbres verts

Ombrageant un grand lit où mon roi et sa reine

Iront feuille à feuille s’aimer à ciel ouvert.
Et puis nous n’aurons plus en nous que du silence.

Le temps muet passé il faudra repartir,

« En amour il est toujours plus tard qu’on ne pense

Dira-t-il, riez car je noircis aux soupirs.»
Et le jeu sera de rire au bonheur qui cesse.

Je dirai : « J’aimerais vous écrire bientôt ».

«Ah ! fera-t-il, un homme adroit n’a pas d’adresse,

Je fuis les souvenirs : ils me tournent le dos.»
D’un geste il remettra son manteau de poussière,

Du revers de sa main il essuiera mes yeux

Et il repartira, pèlerin sans prières,

Me laissant à broder le mouchoir des adieux.
Craignez les séducteurs, oh! belles imprudentes,

Les fiançailles pour rire peuvent blesser,

Le sort aux mille doigts peut arracher la plante

Qui conseille au bonheur de ne plus voyager.
1939

Louise de Vilmorin

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