L’accablement
Mes yeux rendus à la lumière,
Mais fatigués de tant de pleurs,
S’offensent des vives couleurs,
Et baissent leur faible paupière.
Les voix n’ont plus leurs doux accents,
Rien ne m’émeut, rien ne m’alarme :
Ah ! si je n’ai plus une larme,
C’est donc le bonheur que je sens ?
Croyons-le. Puisque tout m’éclaire,
C’est le bonheur qui m’est rendu :
Puisque rien ne sait plus me plaire,
C’est le bandeau que j’ai perdu.
Je regarde à présent la vie
Comme un lieu que j’avais quitté ;
Mais une erreur longtemps suivie
Change jusqu’à la vérité.
Vers sa belle image envolée
Mon cœur ne retournera plus :
Pour ramener l’onde écoulée,
Tous les efforts sont superflus.
Mais pourquoi, lorsque le jour tombe,
Semble-t-il isoler mon sort,
Comme s’il passait sur la tombe
De tous ceux qui m’aiment encor ?
Ah ! c’est que mon âme est changée ;
C’est que je suis faible au malheur ;
C’est que j’ai bravé la douleur,
Et que la douleur s’est vengée.
C’est que des jeux le tendre essaim,
Déserte au cri de la souffrance ;
Que tout est froid sans l’espérance,
Et qu’elle est morte dans mon sein.
Et pour celui qui fit ma peine,
Que ma voix ne sait plus nommer,
Dieu ! qu’il a mérité ma haine !
Que je voudrais ne plus l’aimer !