L’indiscret
Dans la paix triste et profonde
Où me plongeait ce séjour,
J’ignorais qu’au bruit du monde
On peut oublier l’amour :
Quelle est donc cette voix importune et cruelle
Qui déjà me détrompe avec un ris moqueur ?
Comme une flèche aiguë elle siffle autour d’elle,
Et le trait qu’elle porte a déchiré mon cœur.
Au bord de ma tombe ignorée,
Ciel ! par cette langue acérée,
Faut-il qu’un nom trop cher puisse m’atteindre encor,
Pour m’apprendre ( nouvelle affreuse ! )
Que j’étais seule malheureuse,
Et qu’on m’oublie avant ma mort !
Du plus sincère amour quel châtiment terrible !
Je n’étais pas aimée ! … ô confidence horrible !
Il a parlé longtemps. Mes yeux, gonflés de pleurs,
Se détournaient en vain de ses lèvres légères,
Dont le souffle éteignait mes erreurs les plus chères,
Et dont le rire affreux outrageait mes malheurs.
Lui n’a vu mon effroi ni ma pâleur extrême ;
L’indiscret n’a point d’âme, il ne devine rien ;
Du bruit de sa parole il s’étourdit lui-même,
Il s’écoute, il s’admire, il se répond : c’est bien !
Loin de moi… Mais sa voix ! elle me frappe encore ;
Son timbre me poursuit, et partout il m’attend :
Sait-il que je me meurs ? Sait-il que je l’abhorre ?
Il révèle un secret, il parle, il est content.
Ah ! j’aurais dû crier : c’est moi… je l’aime… arrête !
Par ton Dieu, par ta mère et tes premiers amours,
Dis qu’il n’est point parjure ; oh ! dis-le ! je suis prête
À t’entendre, à tout croire, à t’écouter toujours.
Mais non, il n’a pas vu ma main, faible et glacée,
Rassembler mes cheveux pour voiler mon affront ;
Il n’a pas vu la mort, par lui-même tracée,
Sous le bandeau de fleurs qui tremblaient sur mon front.
Aveugle ! il n’a pas vu se fermer et s’éteindre
Mon œil longtemps fermé !
Quand j’ai dit : Se peut-il ! … ma voix n’a pu l’atteindre ;
Il n’a donc pas aimé ?
Peut-être qu’en naissant il a perdu sa mère,
Qu’il n’a jamais connu le baiser d’une sœur,
Et qu’à ses premiers cris, une dure étrangère
N’a jamais d’une sourire accordé la douceur.
Fuis, dépositaire infidèle
Des secrets imprudents confiés à ta foi !
Va ! qui trompe une amante au moins a pitié d’elle :
Tu trahis un méchant, mais il l’est moins que toi.
Sa pudeur, ses remords prenaient soin de ma vie ;
Lui-même il frémira du mal que tu me fais :
Il laissait l’espérance à mon âme asservie,
Il se taisait enfin ; et moi… que je le hais !
Pour tromper tant d’amour qu’il s’imposa de peine !
Quelle humiliante pitié !
Mais toi, toi qui pour lui m’inspires tant de haine,
Ah ! prends-en la moitié !
Qu’elle attache à mes pleurs une longue puissance ;
Qu’elle effraie à ton nom l’imprudente innocence ;
Que ton cœur s’intimide à mes cris douloureux ;
Qu’il devienne sensible, et qu’il soit malheureux !
Oui, puisses-tu brûler, et languir, et déplaire
Au jeune et froid objet qui sauva t’enflammer ;
Ou plutôt… tremble au vœu qu’inventé ma colère ,
Puisses-tu longtemps vivre, et ne jamais aimer !