Chant de Pâques
Alleluia ! Fais, ô soleil, la maison neuve !
Mes soeurs, que chacune se meuve
Avec des mains de ménagère et des doigts gais…
C’est Pâques ! Jetons hors les poussières obscures,
Frottons de sable fin les clefs et les serrures,
Pour que la porte s’ouvre en paix.
Cirons doux, cirons vif les battants des armoires,
La fenêtre en rit dans leurs moires !
Frottons ! qu’elle se mire au luisant du parquet.
Vêtons-lui ses rideaux de fraîche mousseline…
Quel ouvrage ! A-t-on cuit le gâteau d’avelines
Et mis sur la table un bouquet ?
Alleluia ! Nous avons fini d’être mortes,
De jeûner, de fermer nos portes,
Le coeur clos et gardé par les effrois pieux.
Le prêtre a délivré la flamme et les eaux folles,
Notre âme sort et s’amuse dans nos paroles
Et notre jeunesse en nos yeux.
Ouvre tout grand la porte à la Semaine Sainte.
Mon coeur en moi sautille et tinte
Ainsi qu’une clochette en or vif qui se tut
Et s’en revient de Rome après les temps mystiques
Me donner l’envolée et le ton des cantiques
Pour l’allégresse du salut.
Mais avec ma corbeille il faut que je m’en aille
Chercher les oeufs frais dans la paille…
Aux vignes d’alentour ont fleuri les crocus
En rondes d’or et tenant leurs mains verdelettes
J’ai vu dans les fossés des nids de violettes
Et des coucous sur les talus.
Les poules ont pondu très loin dans la campagne.
Dans le matin qui m’accompagne ?
Venez-vous-en seul avec moi, mon bien-aimé…
Quelle parole avant d’y penser ai-je dite ?
Où donc est ce bien-aimé-là, dis, ma petite ?
Qui d’un tel nom as-tu nommé ?
Est-ce Jésus, ô moi qui ne connais point d’homme ?
Le Dieu martyr que dans son somme
Hier nous avons veillé toute la nuit au coeur,
Pleurant d’amour sur son tombeau, de deuil voilées ?
Est-ce le Printemps doux et ses graines ailées
Qui nous a soufflé dans le coeur ?
Mon bien-aimé, ce n’est qu’un mot, ce n’est personne.
Mais de l’avoir dit je frissonne
Et je suis parfumée et je suis en rumeur
Comme une fiancée au roi qui l’aime offerte,
Je frémis et me sens comme la terre, ouverte
Toute grande aux pieds du semeur.
Quel germe au loin flottant va me voler dans l’âme ?
Quel est le grain qu’elle réclame
Pour être avec les fleurs une fleur de l’été
Et pour porter des fruts quand passera l’automne ?…
Il est doux, invisible et léger, il chantonne
A travers le vent enchanté.
Qu’est-ce que le Printemps, ô Jésus, mon doux Maître ?
L’Ange des révoltes peut-être
Qui change d’un regard et la terre et les eaux
Pour me séduire et m’agite neuve et rebelle,
– Moi qui devrais vous être une calme chapelle-
Ainsi que l’herbe et les rameaux.
Ah ! de lui maintenant pourras-tu me défendre ?
O Christ, il te fallait l’attendre
Sur ta croix de salut tous les jours sans guérir
Et me faire couler sur le coeur, de tes plaies,
Ton sang, pour que cherchant tes épines aux haies,
A tes pieds j’adore mourir.
Mais ce matin que l’Ange a remué la pierre,
O Toi debout dans la lumière,
Ressuscité de l’aube aux pieds couleur du temps,
Toi qui dans le jardin as rencontré Marie
Que feras-tu, jardinier de Pâques fleuries,
Pour me défendre du Printemps ?
1907