Satyre XV

Mathurin Regnier
par Mathurin Regnier
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(Fragment)

Ouy, j’escry rarement, et me plais de le faire ;
Non pas que la paresse en moy soit ordinaire,
Mais si tost que je prens la plume à ce dessein,
Je croy prendre en galere une rame en la main ;
Je sens, au second vers que la Muse me dicte,
Que contre sa fureur ma raison se despite.

Or si par fois j’escry suivant mon ascendant,
Je vous jure, encor estce à mon corps deffendant.
L’astre qui de naissance à la Muse me lie
Me fait rompre la teste après ceste folie,
Que je recongnois bien ; mais pourtant, malgré moy,
Il faut que mon humeur fasse joug à sa loy ;
Que je demande en moy ce que je me desnie,
De mon âme et du Ciel estrange tyrannie !
Et qui pis est, ce mal, qui m’afflige au mourir,
S’obstine aux recipez et ne se veut guarir ;
Plus on drogue ce mal et tant plus il s’empire ;
Il n’est point d’elebore assez en Anticire ;
Revesche, à mes raisons, il se rend plus mutin,
Et ma philosophie y perd tout son latin.
Or pour estre incurable, il n’est pas necessaire,
Patient en mon mal, que je m’y doive plaire ;
Au contraire, il m’en fasche et m’en desplais si fort,
Que durant mon accez je voudrois estre mort :
Car lors qu’on me regarde et qu’on me juge un poëte,
Et qui par consequent a la teste malfaite,
Confus en mon esprit, je suis plus désolé,
Que si j’estois maraut, ou ladre ou verollé.

Encor si le transport dont mon ame est saisie
Avoit quelque respect durant ma frenaisie ;
Qu’il se reglast selon les lieux moins importans,
Ou qu’il fist choix des jours, des hommes ou du temps,
Et que lors que l’hyver me renferme en la chambre,
Aux jours les plus glacez de l’engourdy novembre,
Apollon m’obsedast, j’aurois en mon malheur
Quelque contentement à flater ma douleur.

Mais aux jours les plus beaux de la saison nouvelle,
Que Zephire en ses rets surprend Flore la belle,
Que dans l’air les oyseaux, les poissons en la mer,
Se pleignent doucement du mal qui vient d’aymer ;
Ou bien lors que Cerès de fourment se couronne,
Ou que Bacchus souspire, amoureux de Pomone ;
Ou lors que le saffran, la derniere des fleurs,
Dore le scorpion de ses belles couleurs,
C’est alors que la verve insolemment m’outrage,
Que la raison forcée obeyt à la rage,
Et que, sans nul respect des hommes ou du lieu,
Il faut que j’obeisse aux fureurs de ce Dieu ;
Comme en ces derniers jours, les plus beaux de l’année,
Que Cibelle est partout de fruicts environnée,
Que le paysant recueille, emplissant à milliers
Greniers, granges, chartis, et caves et celiers,
Et que Junon, riant d’une douce influence,
Rend son oeil favorable aux champs qu’on ensemence ;
Que je me resoudois, loing du bruit de Paris
Et du soing de la Cour ou de ses favoris,
M’esgayer au repos que la campagne donne,
Et sans parler curé, doyen, chantre ou Sorbonne,
D’un bon mot faire rire, en si belle saison,
Vous, vos chiens et vos chats et toute la maison,
Et là, dedans ces champs que la riviere d’Oyse
Sur des arenes d’or en ses bors se degoyse,
(Sejour jadis si doux à ce Roy qui deux fois
Donna Sydon en proye à ses peuples françois)
Faire meint soubresaut, libre de corps et d’ame,
Et, froid aux appetis d’une amoureuse flame,
Estre vuide d’amour comme d’ambition,
Des gallands de ce temps, horrible passion.

Mais à d’autres revers ma fortune est tournée.
Dès le jour que Phoebus nous monstre la journée,
Comme un hiboux qui luit la lumiere et le jour,
Je me lève, et m’en vay dans le plus creux sejour
Que Royaumont recelle en ses forets secrettes,
Des renards et des loups les ombreuses retraittes.
Et là, malgré mes dents rongeant et ravassant,
Polissant les nouveaux, les vieux rapetassant,
Dedans la Cour, peutestre, on leur fera la moue ;
Ou s’ils sont, à leur gré, bien faits et bien polis,
J’auray pour recompense : ‘ Ils sont vrayment jolis. ‘
Mais moy, qui ne me reigle aux jugemens des hommes
Qui dedans et dehors cognoy ce que nous sommes ;
Comme, le plus souvent, ceux qui sçavent le moings
Sont temerairement et juges et tesmoings,
Pour blasme ou pour louange ou pour froide parole
Je ne fay de leger banqueroute à l’escolle
Du bon homme Empedocle, où son discours m’apprend
Qu’en ce monde il n’est rien d’admirable et de grand
Que l’esprit desdaignant une chose bien grande,
Et qui, Roy de soymesme, à soymesme commande…

Mathurin Regnier

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