Repas de corbeaux
C’est l’heure où la nuit fait avec l’aube son troc.
Dans un pays lugubre, en sa plus morne zone,
Précipité, profond, massif comme le Rhône
Un gave étroit, muet, huileux, mou dans son choc ;
Sol gris, rocs, ronce, et là, parmi les maigres aunes,
Les fouillis de chardons, les courts sapins en cônes.
Des corbeaux affamés qui s’abattent par blocs !
Ils cherchent inquiets, noirs dans le blanc des rocs ;
Tels des prêtres, par tas, vociférant des prônes,
Ils croassent, et puis, ils sautent lourds, floc, floc !
Soudain, leur apparaît, longue au moins de deux aunes,
Une charogne monstre, avec l’odeur ad hoc !…
Ils s’y ruent ! griffes, becs taillent, frappent d’estoc.
Acharnés jusqu’au soir, depuis le chant du coq,
Ils dévorent goulus la viande verte et jaune
Dont un si bon hasard leur a fait large aumône.
Puis, laissant la carcasse aussi nette qu’un soc,
Se perchant comme il peut, tout de bric et de broc,
Dans un ravissement que son silence prône,
Audessus du torrent, le noir troupeau mastoc,
Immobile, cuvant sa pourriture, trône.
Sous la lune magique aux deux cornes de faune.
Paysages et paysans