Soufre

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par Michel Butor
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J’ai cueilli des fleurs minérales
au bord des bassins des geysers
pour alimenter mes vergers
alchimiques en greffons drus
afin d’obtenir les agrumes
dont se délectent les dragons
veillant autour de mes trésors
convoités par les gens en place
que leurs espions ont alertés
J’ai cueilli des cendres vivantes
au bord des fusées retombées
des feux d’artifice en l’honneu
des dernières libérations
pour fumer les terreaux safran
des prés où joueront les enfants
des griffons nés dans les cavernes
que m’ont léguées les anciens maîtres
pour y mûrir mes talismans
J’ai cueilli les interminables
minutes des accouchements
au bord des scènes et des vies
pour en tisser l’allongement
des cases du calendrier
en plages d’immortalité
à l’abri de toutes les taxes
l’or des ans le citron des vagues
pour ouvrir les geôles du temps
J’ai cueilli des flux d’étincelles
au bord d’alambics électriques
dans les discrets laboratoires
où s’élabore l’élixir
qui dissoudra canons et tanks
épaulettes cravaches morgue
dans les piscines des gymnases
où s’exerceront les dauphins
pour explorer les autres règnes
J’ai cueilli les éclairs d’été
au bord des forêts et banquises
pour creuser dans les nuits des pôles
des galeries en draperies
s’enroulant autour de l’essieu
de notre planète et donnant
sur des trous noirs ou bien couleur
de la raie du sodium pour rendre
Vénus habitable et Pluton
J’ai cueilli dans les hôpitaux
les ongles des vieillards griffant
le bord des draps teints de leur bile
pour en épaissir mes fureurs
pour cristalliser mes humeurs
dans ce jaune au-delà de l’or
sur les ramages des rameaux
qui délient les verrous des langues
les cadenas des agonies
J’ai cueilli les palpitations
des trilles batteries arpèges
au bord des silences conquis
sur les ronflements de nos villes
pour traduire à nos surdités
les rumeurs perdues des savanes
les grincements des migrations
parlers des mangeurs de coquilles
les veillées des cités d’antan
J’ai cueilli les soies et nervures
au bord des grains du tournesol
dans les royaumes des monnaies
dans les pupilles des pumas
dans les franges des dalmatiques
essuyant les dalles et marches
de Byzance Assur ou Memphis
pour en diffuser la fragrance
dans les remugles de nos gouffres
J’ai cueilli plumes vibratiles
au bord des ailes des phénix
qui nichent sur les bananiers
des hespérides ou atolls
qui apparaissent quand se lève
l’étoile des bergers ou celle
des rois mages puis se diluent
dans les corolles de l’écume
aux remous de l’actualité

Michel Butor

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