Craignez-vous pour vos vers la censure publique ?

Nicolas Boileau
par Nicolas Boileau
0 vues
0.0

Craignezvous pour vos vers la censure publique ?
Soyezvous à vousmême un sévère critique.
L’ignorance toujours est prête à s’admirer.
Faitesvous des amis prompts à vous censurer ;
Qu’ils soient de vos écrits les confidents sincères,
Et de tous vos défauts les zélés adversaires.
Dépouillez devant eux l’arrogance d’auteur ;
Mais sachez de l’ami discerner le flatteur :
Tel vous semble applaudir, qui vous raille et vous joue.
Aimez qu’on vous conseille et non pas qu’on vous loue.
Un flatteur aussitôt cherche à se récrier :
Chaque vers qu’il entend le fait extasier.
Tout est charmant, divin : aucun mot ne le blesse ;
Il trépigne de joie, il pleure de tendresse ;
Il vous comble partout d’éloges fastueux :
La vérité n’a point cet air impétueux.
Un sage ami, toujours rigoureux, inflexible,
Sur vos fautes jamais ne vous laisse paisible :
Il ne pardonne point les endroits négligés,
Il renvoie en leur lieu les vers mal arrangés,
Il réprime des mots l’ambitieuse emphase ;
Ici le sens le choque, et plus loin c’est la phrase.
Votre construction semble un peu s’obscurcir ;
Ce terme est équivoque, il le faut éclaircir.
C’est ainsi que vous parle un ami véritable.
Mais souvent sur ses vers un auteur intraitable
À les protéger tous se croit intéressé,
Et d’abord prend en main le droit de l’offensé.
De ce vers, direzvous, l’expression est basse,
Ah ! monsieur, pour ce vers je vous demande grâce,
Répondratil d’abord. Ce mot me semble froid ;
Je le retrancherais. C’est le plus bel endroit !
Ce tour ne me plaît pas. Tout le monde l’admire.
Ainsi toujours constant à ne se point dédire,
Qu’un mot dans son ouvrage ait paru vous blesser,
C’est un titre chez lui pour ne point l’effacer.
Cependant, à l’entendre, il chérit la critique ;
Vous avez sur ses vers un pouvoir despotique,
Mais tout ce beau discours dont il vient vous flatter
N’est rien qu’un piège adroit pour vous les réciter.
Aussitôt il vous quitte ; et, content de sa muse,
S’en va chercher ailleurs quelque fat qu’il abuse :
Car souvent il en trouve : ainsi qu’en sots auteurs,
Notre siècle est fertile en sots admirateurs
Et, sans ceux que fournit la ville et la province,
Il en est chez le duc, il en est chez le prince.
L’ouvrage le plus plat a, chez les courtisans,
De tout temps rencontré de zélés partisans ;
Et, pour finir enfin par un trait de satire,
Un sot trouve toujours un plus sot qui l’admire. […]

(Chant I)

L’art poétique

Nicolas Boileau

Qu’en pensez-vous ?

Partagez votre ressenti pour Nicolas Boileau

Noter cette création
1 Étoile2 Étoiles3 Étoiles4 Étoiles5 Étoiles Aucune note
Commenter

Laissez l'encre de vos pensées couler sur nos pages virtuelles. Écrivez avec passion.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Aucun poème populaire trouvé ces 7 derniers jours.

Nouveau sur LaPoesie.org ?

Première fois sur LaPoesie.org ?


Rejoignez le plus grand groupe d’écriture de poésie en ligne, améliorez votre art, créez une base de fans et découvrez la meilleure poésie de notre génération.