Le tabac
Ode
Des ennuis accablants, de la morne tristesse,
Ô tabac, l’unique enchanteur !
Des plaisirs ingénus, de l’aimable allégresse,
Ô tabac, la source et l’auteur !
Sans toi, tabac chéri, mon esprit est sans joie,
Dans les chagrins il est plongé :
De leurs efforts fréquents il deviendrait la proie,
S’il n’était par toi soulagé.
En diverses façons on connaît ton mérite ;
Il est d’un prix toujours nouveau.
Tu fais à flots aisés s’écouler la pituite,
Et tu dégages le cerveau.
L’esprit, quand au travail sa force est languissante,
Par ta poudre est ressuscité.
Ton odeur évertue une âme croupissante
Dans une molle oisiveté.
Le sang est étanché, la blessure est guérie,
Quand on t’applique sur le mal ;
Dans leurs climats féconds, le Pérou, l’Assyrie
N’ont point de baume au tien égal.
Tu joins presque toujours l’agréable à l’utile.
Que j’aime, en ton étroit foyer,
Du bout d’un long tuyau mettre en cendre ma bile,
Et dans les airs la renvoyer !
Aussitôt dans un coeur la tempête est calmée.
Mon âme avec ravissement
S’occupe à voir sortir de la pipe allumée
Un petit nuage fumant.
Tes charmants tourbillons dans la tête échauffée,
Font glisser l’appât du repos ;
Et volant après toi, le docile Morphée
Sème tes traces de pavots.
Cupidon, d’un fumeur, à ses chaînes honteuses
N’attache guère le destin.
Tu n’as, divin tabac, dans tes fêtes joyeuses,
D’autre compagnon que le vin.
La mourante vieillesse est par toi rajeunie
Mieux que par les médicaments,
Ta vertu merveilleuse, en prolongeant la vie,
Répare les tempéraments.
À ton propice aspect les vapeurs de la peste
Cessent d’infecter les maisons :
Ton odeur salutaire est une odeur funeste
À ses tristes exhalaisons.
Celui qui le premier nous apprit ton usage,
Est digne du nectar des dieux :
A nos neveux transmis, son bienfait d’âge en âge
Doit rendre son nom précieux.