Comme Deux Gouttes D’eau
On a brisé le globe alpestre
Où le couple erotique semblait rêver
Une petite fille était figurée
Sur ses flancs pâles
Elle riait d’un mariage ridicule
D’une vie enviable
Deux yeux deux fois deux yeux
Ne sont jamais deux fois semblables
La femme était toujours tournée
Vers le plus sombre du sombre
Protée
Qui fuyait les hommes
Jeunesse à ne savoir quand elle prendrait fin
Sourires dessinés par des caresses
Douleur déchirée par des caresses
Les jours n’étaient mauvais que pour les autres
femmes
Ils brûlaient d’un grand feu aveugle
Et ne reconnaissaient rien.
En cherchant des salamandres
Des flammes vertes
Des flammes noires
Un été pâle
A réduire un grand chagrin
Pendant les vacances
Buvant du lait
Dans les prairies
Comme un enfant
Mourra la nuit
Pour s’en passer
Que faut-il dire
Cristal de roche
Fauve éventé
Bonds des collines
Ma belle en liberté
Eparpille des herbes
Des moires de parfums
Des bêtes trébuchantes
Des prunelles gelées
Éblouissante et nue
A la cuisse une abeille
Rires peur de la peur
Dans les bras d’un frisson
En plein jour le corail
Borde l’écume des forêts
Un buisson de neige s’envole
Je n’ai pas d’ombre à t’opposer
Sous ton masque de larmes
Tu n’es que plus visible
Sur leurs plages de perles
Tes yeux sont plus beaux
L’œuf de l’aube lâche ses oiseaux
Fils des reptiles au cœur de marbre
Aux yeux de griffes
Que faut-il taire
Pour t’écouter
Chaîne des ponts
Comme une paille
Tremblante d’air
Le corps très frais les cheveux tièdes
Le front lustré
Tu tournes au beau temps
Et quand le soleil s’oriente
Dans le ciel du matin
Tu souris dans mes plaintes.
L’homme
Ses bizarres idées de bonheur l’avaient abandonné
Il imposait sa voix inquiète
A la chevelure dénouée
Il cherchait cette chance de cristal
L’oreille blonde acquise aux vérités
Il offrait un ciel terne à des regards lucides
Leviers sensibles de la vie
Il n’attendait plus rien de sa mémoire qui s’ensablait
L’amour unique tendait tous les pièges du prisme
Des sources mêlées à des sources
Un clavier de neige dans la nuit
Tour à tour frissonnant et monotone
Une fuite un retour nul n’était parti
Tout menait au tourment
Tout menait au repos
De longs jours étoiles de colères
Pour de longs jours aux nervures de baisers
L’enfance à travers l’automne d’un instant
Pour épuiser l’avenir
Et cent femmes innocentes ignorées ignorantes
Pour préférer celle qui resta seule
Une nuit de métamorphoses
Avec des plaintes des grimaces
Et des rancunes à se pendre.
Installez ici les gradins les estrades
Les lampes des musiciens
Gravez partout des personnages ridicules
D’un trait pur d’un trait vif
Enviable
Accrochez les fleurs les grands oiseaux
Tout près des danseuses polies
Et de leurs robes creuses
Tout près des seins aux étranges vertus
Aux maladresses nonchalantes
Jetez des brassées de statues fragiles
Sur de grandes pierres sûres d’elles-mêmes
Pour déchaîner la gaieté
Pour composer un monde involontaire
Tendre et solide
On y trébuche en plein jour
Où suis-je j’y voudrais rester
La moindre ligne blanche
Près d’une tache noire
Une lampe pour un voyant
Un albinos
Sous les baisers des couleurs
Découvre son regard traqué
Sa candeur
Une couronne diaprée
De violettes roses
De boutons d’or fanés
II a le goût d’autres décors
D’une clarté moins rassurante
Plusieurs petites mains rapprochées
Sous un arbuste pâle
Carrelage de paumes innocentes
Touche aux mains pour toucher à tout
Sans laisser de traces
Pourquoi tant d’égards
Fouillez les gouttes d’eau
Les graines en haillons
Fouillez les mains prodigues
La prudence n’est qu’un jeu
Sur la table d’un enfant
Les arabesques lentes des poitrines et des lèvres
Les rides de l’écho
Derniers sentiers de la parole
Parmi les bruits de la campagne
Soir sans allure
Grand laboureur de ruines
Bourreau descendu des îles solitaires
Avec le vent dans la poussière
De mille vieillesses craquantes
Terre exécrable
Aux grimaces décolorées
Inextricable nœud d’horizons
Ma colère comme un sanglot la fin de tout
Puis dans le noir interminable
L’abandon d’un regard
Dont tout avait le goût
Ses paupières sont prises dans la cire de l’ombre
Et n’y retrouvent rien
Ni la tendresse ni la vie même l’ancienne
Qui n’était pas la nôtre
Pas plus la solitude que l’oubli.
De tout ce que j’ai dit de moi que reste-t-il
J’ai conservé de faux trésors dans des armoires vides
Un navire inutile joint mon enfance à mon ennui
Mes jeux à la fatigue
Un départ à mes chimères
La tempête à l’arceau des nuits où je
Suis seul
Une île sans animaux aux animaux que j’aime
Une femme abandonnée à la femme toujours nouvelle
En veine de beauté
La seule femme réelle
Ici ailleurs
Donnant des rêves aux absents
Sa main tendue vers moi
Se reflète dans la mienne
Je dis bonjour en souriant
On ne pense pas à l’ignorance
Et l’ignorance règne
Oui j’ai tout espéré
Et j’ai désespéré de tout
De la vie de l’amour de l’oubli du sommeil
Des forces des faiblesses
On ne me connaît plus
Mon nom mon ombre sont des loups.
Filles de rien prêtes à tout
Sœurs des fleurs sans racines
Sœurs des enfants rebelles
Minuscules
Indifférentes
Réduites à l’intelligence
A la raison à en mourir
Réduites dans vos secrets
Etrangères délaissées
Mes lointaines compagnes
Aux chairs sentimentales
Belles à peine belles mais toujours belles
Plus simples que le malheur
Plus précieuses que la beauté
De vos lèvres abattues
De votre sourire effondré
Vous me confiez vos poisons
O mithridatisées
Et j’oppose à l’amour
Des images toutes faites
Au lieu d’images à faire.
Paul Eluard