La Vue

Paul Eluard
par Paul Eluard
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A l’heure où apparaissent les premiers symptômes de
la viduité de l’esprit

On peut voir un nègre toujours le même

Dans une rue très passante arborer ostensiblement
une cravate rouge

Il est toujours coiffé du même chapeau beige

Il a le visage de la méchanceté il ne regarde personne

Et personne ne le regarde.
Je n’aime ni les routes ni les montagnes ni les forêts

Je reste froid devant les ponts

Leurs arches ne sont pas pour moi des yeux je ne me promène pas sur des sourcils
Je me promène dans les quartiers où il y a le plus de femmes
Et je ne m’intéresse alors qu’aux femmes

Le nègre aussi car à l’heure où l’ennui et la fatigue

Deviennent les maîtres et me font indifférent à mes désirs
A moi-même
Je le rencontre toujours
Je suis indifférent il est méchant
Sa cravate doit être en fer forgé peint au minium
Faux feu de forge
Mais s’il est là par méchanceté
Je ne le remarque que par désœuvrement.
Un évident besoin de ne rien voir traîne les ombres
Mais le soir titubant quitte son nid
Qu’est-ce que ce signal ces signaux ces alarmes
On s’étonne pour la dernière fois
En s’en allant les femmes enlèvent leur chemise de
lumière

De but en but un seul but nul ne demeure

Quand nous n’y sommes plus la lumière est seule.
Le grenier de carmin a des recoins de jade
Et de jaspe si l’œil s’est refusé la nacre
La bouche est la bouche du sang
Le sureau tend le cou pour le lait du couteau
Un silex a fait peur à la nuit orageuse
Le risque enfant fait trébucher l’audace
Des pierres sur le chaume des oiseaux sur les tuiles
Du feu dans les moissons dans les poitrines
Joue avec le pollen de l’haleine nocturne
Taillée au gré des vents l’eau fait l’éclaboussée
L’éclat du jour s’enflamme aux courbes de la vague
Et dans son corset noir une morte séduit
Les scarabées de l’herbe et des branchages morts.

Paul Eluard

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