Au Platane

Paul Valéry
par Paul Valéry
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A André Fontainas.
Tu penches, grand Platane, et te proposes nu,

Blanc comme un jeune Scythe,

Mais ta candeur est prise, et ton pied retenu

Par la force du site.
Ombre retentissante en qui le même azur

Qui t’emporte, s’apaise,

La noire mère astreint ce pied natal et pur

À qui la fange pèse.
De ton front voyageur les vents ne veulent pas;

La terre tendre et sombre,

Ô Platane, jamais ne laissera d’un pas

S’émerveiller ton ombre!
Ce front n’aura d´accès qu´aux degrés lumineux

Où la sève l’exalte;

Tu peux grandir, candeur, mais non rompre les noeuds

De l’éternelle halte!
Pressens autour de toi d´autres vivants liés

Par l’hydre vénérable;

Tes pareils sont nombreux, des pins aux peupliers,

De l’yeuse à l’érable,
Qui, par les morts saisis, les pieds échévelés

Dans la confuse cendre,

Sentent les fuir les fleurs, et leurs spermes ailés,

Le cours léger descendre.
Le tremble pur, le charme, et ce hêtre formé,

De quatre jeunes femmes,

Ne cessent point de battre un ciel toujours fermé,

Vêtus en vain de rames.
Ils vivent séparés, ils pleurent confondus

Dans une seule absence,

Et leurs membres d´argent sont vainement fendus

À leur douce naissance.
Quand l’âme lentement qu’ils expirent le soir

Vers l’Aphrodite monte,

La vierge doit dans l’ombre, en silence, s’asseoir,

Toute chaude de honte.
Elle se sent surprendre, et pâle, appartenir

À ce tendre présage

Qu’une présente chair tourne vers l’avenir

Par un jeune visage. . .
Mais toi, de bras plus purs que les bras animaux,

Toi qui dans l’or les plonges,

Toi qui formes au jour le fantôme des maux

Que le sommeil fait songes,
Haute profusion de feuilles, trouble fier

Quand l’âpre tramontane

Sonne, au comble de l’or, l’azur du jeune hiver

Sur tes harpes, Platane,
Ose gémir!. . . Il faut, ô souple chair du bois,

Te tordre, te détordre,

Te plaindre sans rompre, et rendre aux vents la voix

Qu’ils cherchent en désordre!
Flagelle-toi!. . . Parais l’impatient martyr

Qui soi-même s’écorche,

Et dispute à la flamme impuissante à partir

Ses retours vers la torche!
Afin que l’hymne monte aux oiseaux qui naîtront,

Et que le pur de l’âme

Fasse frémir d’espoir les feuillages d’un tronc

Qui rêve de la flamme,
Je t’ai choisi, puissant personnage d’un parc,

Ivre de ton tangage,

Puisque le ciel t’exerce, et te presse, ô grand arc,

De lui rendre un langage!
Ô qu’amoureusement des Dryades rival,

Le seul poète puisse

Flatter ton corps poli comme il fait du Cheval

L’ambitieuse cuisse!. . .
-Non, dit l’arbre. Il dit: Non! par l’étincellement

De sa tête superbe,

Que la tempête traite universellement

Comme elle fait une herbe!

Paul Valéry

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