Aurore

Paul Valéry
par Paul Valéry
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A Paul Poujaud.
La confusion morose

Qui me servait de sommeil,

Se dissipe dès la rose

Apparence du soleil.

Dans mon âme je m’avance,

Tout ailé de confiance:

C’est la première oraison!

À peine sorti des sables,

Je fais des pas admirables

Dans les pas de ma raison.
Salut! encore endormies

À vos sourires jumeaux,

Similitudes amies

Qui brillez parmi les mots!

Au vacarme des abeilles

Je vous aurai par corbeilles,

Et sur l’échelon tremblant

De mon échelle dorée,

Ma prudence évaporée

Déjà pose son pied blanc.
Quelle aurore sur ces croupes

Qui commencent de frémir!

Déjà s’étirent par groupes

Telles qui semblaient dormir:

L’une brille, l’autre bâille;

Et sur un peigne d’écaille

Égarant ses vagues doigts,

Du songe encore prochaine,

La paresseuse l’enchaîne

Aux prémisses de sa voix.
Quoi! c’est vous, mal déridées!

Que fîtes-vous, cette nuit,

Maîtresses de l’âme, Idées,

Courtisanes par ennui?

-Toujours sages, disent-elles,

Nos présences immortelles

Jamais n’ont trahi ton toit!

Nous étions non éloignées,

Mais secrètes araignées

Dans les ténèbres de toi!
Ne seras-tu pas de joie

Ivre! à voir de l’ombre issus

Cent mille soleils de soie

Sur tes énigmes tissus?

Regarde ce que nous fîmes:

Nous avons sur tes abîmes

Tendu nos fils primitifs,

Et pris la nature nue

Dans une trame ténue

De tremblants préparatifs. . .
Leur toile spirituelle,

Je la brise, et vais cherchant

Dans ma forêt sensuelle

Les oracles de mon chant.

Être! Universelle oreille!

Toute l’âme s’appareille

À l’extrême du désir…

Elle s’écoute qui tremble

Et parfois ma lèvre semble

Son frémissement saisir.
Voici mes vignes ombreuses,

Les berceaux de mes hasards!

Les images sont nombreuses

À l’égal de mes regards…

Toute feuille me présente

Une source complaisante

Où je bois ce frêle bruit…

Tout m’est pulpe, tout amande,

Tout calice me demande

Que j’attende pour son fruit.
Je ne crains pas les épines!

L’éveil est bon, même dur!

Ces idéales rapines

Ne veulent pas qu’on soit sûr:

Il n’est pour ravir un monde

De blessure si profonde

Qui ne soit au ravisseur

Une féconde blessure,

Et son propre sang l’assure

D’être le vrai possesseur.
J’approche la transparence

De l’invisible bassin

Où nage mon Espérance

Que l’eau porte par le sein.

Son col coupe le temps vague

Et soulève cette vague

Que fait un col sans pareil…

Elle sent sous l’onde unie

La profondeur infinie,

Et frémit depuis l’orteil.

Paul Valéry

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