Hymne à la déesse
A présent seulement, ô Très-Grande!
A présent désespérément oui je vois
Ta distance absolue ta Beauté
A travers celle faussement proche des femmes
Qui est leur manière de se rendre infinies
D’être chacune ta projection singulière
En tes innombrables inconciliables aspects
Comme autant d’images en miroir en vertige
Différentes moins que Toi-même de Toi.
Impossible de déchiffrer ces images.
Les femmes s’en font de nouvelles sans fin
En jouant des cils.
Qu’en chacune Tu en sois aussi la contraire
Est leur profondeur.
Tu es en toute femme ce qui
D’elle-même d’autant plus lui échappe
Qu’elle scrute ses traits de plus près
Pour Py saisir Toi.
Ton éternité qui leur manque est en elles
Ce que l’homme y voit.
Une jeunesse, une genèse qui s’ouvre
Un regard sans fin.
Un masque de soleil dont les trous
Dardent le vent des gouffres
Et cet aigle sans paupière qui plane Sur l’arcane du front.
Les femmes se fardent les prunelles de foudre
Mieux que la Raison.
Nues comme elle, leur nudité a pour voile
Le velours de leur peau.
Qui a jamais perçu la tendresse
De la Raison?
Indistinct de la caresse, intouchable
Son éclat m’électrise les doigts
M’éblouit du poli de l’idole
Que de très longs cils me renvoient.
Science inexhaustible, intarissable nescience
Féminité qui avant les temps
Es l’éternelle latence des mondes
De cercle en cercle T’élargissant n’aspirant
Qu’à leur ouvrir immensément ton Néant !
Vierge féconde
Mère de tout ce qui est et sera
Mère de ce qui jamais ne sera
Qui toujours enfantes et demeures bréhaigne,
Ascétique plus que le sel tanné du désert
Lascive plus que les palmeraies
Forme parfaite que ta plénitude défait
En myriades de formes sans cesse
Changeantes plus que l’iris de mes yeux
Qui Te fixent Toi l’immuable
En flux perpétuel,
Veuille sur moi ton fidèle
Que déferlent lentement tes lointains,
Que ruissellent de la tête des Tes cheveux sur mon front Comme sur un galet. O Très-Grande ! donne-moi à jamais Chaque fois que m’aura submergé Cette lame géante leur âme Indivise comme la mer ou la nuit D’y voir les yeux clos tout au fond Le croissant de lune
Tu es la porte indistincte du mur Jour après jour de toutes mes forces J’y bute du front dans l’espoir Que résonne le vide derrière Pour être enfin sûr que Tu es La porte et pas seulement Le mur aussi long que ma vie Parallèle au mur
Tu es la porte close du Non
Toutes celles du Oui sont ouvertes
Inutilement puisque tout
Est de part et d’autre le même
Que le seuil ne peut être franchi
Puisqu’il n’existe pas
Tu es la seule qui aies deux côtés
Porte condamnée
Par les portes béantes du Oui
Les gens vont et viennent sans cesse
Sans bouger d’ici
Je suis le seul dont les pas se piétinent
De partout en tout point
Toujours face à Toi où qu’il soit
C’est moi le seuil et ta porte du Nom
Comme Tu es la mienne
Deux portes closes se dressant sans chambranle
Dans le gris infini
Entre elles immense et nulle grandit
Leur distance la cendre
Aucune ne s’ouvrira que la lune
D’elle d’eux ne filtre à la fois
Alors à leur travers se verra
Comme nous fûmes proches
Alors notre double et même ombre Unira l’effigie De l’est à l’ouest
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Mère après tant de nuits blanchies à lutter contre l’insomnie A forcer ce néant sans tain et sans revers ma conscience A tenter d’éteindre ces nerfs dédaléens électrisés Par ma hâte de tous côtés pour les calmer courant la mèche Après tant de sommations enjointes et reçues par moi De ne plus faire obstacle en moi à mon ordre de passer outre Inquisiteur insomniaque enfin ma question me rompt Je m’arrache au suprême aveu qui m’éveille comme d’un rêve De cette vie dont rien de moi ne me rappelle qu’elle est moi
Me voici donc le corps vacant au bord du lit réglementaire Sans me lever je puis toucher les quatre murs et le plafond De ma mémoire où mort vivant je ne sais plus loger ensemble Mes instants qui ne furent pas et se disjoignent avant moi Ma vie usée est mon linceul dont le gris est tout ce qui reste De la cendre de tant de jours que personne n’aura vécus Mère c’est les deux pieds devant que pour naître je me présente Ayant passé ma longue mort à vouloir Te distendre en vain Même de Toi je n’attends rien et m’en remets à ma béance
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Pour atteindre à Toi, passer outre ! Pour m’unir à Toi, lutte à mort corps à corps!
Assez, ô guerrière, de tes lisses blandices! des pudeurs piégées, des
traîtrises de proie! C’est l’homme, dis-Tu, qui Te rêve semblable. Mais Toi, la Tout
Autre, Tu Te fais ce qu’il veut. L’homme Te veut vierge pour Te violer, et mère pour que Tu le
conçoives deux fois. Et Toi, conquérante, Tu Te fais sa conquête. Et Toi, abyssale, Tu es
ronde et emplie. C’est ainsi que ton être alternant vierge et mère est réduit à mimer
leur double image pour lui. C’est ainsi que le juge T’a couchée dans ses codes, dans les siens le
prêtre, dans son lit ton mari. C’est ainsi que Toi-même Tu T’imprimes en tes filles, que tes fils
T’aimeront dans leur femme à leur tour. Moi je hais cette image car elle est la muraille que je longe en aveugle la tâtant des deux mains. Mur sempiternel dont je sais que Toi-même du côté opposé Tu le
tâtes en vain. Nos doigts en s’ignorant mais presque à se toucher effleurent dans
le vide notre cécité Qui tout en nous soudant l’un l’autre sans visage aux bords de son
désert nous maintient séparés. Ce désert cependant soit l’osmose effaçant tout ce qui nous limite et
qui nous définit
Soit le vent aux yeux creux de notre nuit commune englobant toute borne et crevant l’infini.
Je me trace vers Toi sans guide que l’absence partout et nulle part
emmêlant ses chemins Une route en moi-même à travers les entrailles de ce rêve où sans
forme Tu brasses les destins. Y perdant toute idée de mon être à mesure que je vais plus au fond
de mon être sans moi De mes ombres sans mains j’édifie mon abîme cité ou bien statue
pélagienne de Toi. Ville aux temples touffus dont les marches s’engluent jusqu’à cet
ombilic où tout naît et finit Autel creux où survit ce rite du sépulcre que l’âme immémoriale en
sa nuit accomplit. Pour en finir de se succéder éternelle qu’elle ait comme en deçà le
ventre du chaos Qu’elle entre sans frémir dans la ville abyssale où ne subsiste rien
ni du bas ni du haut. Dans la ville inversant sous terre ses étoiles une foule giclant de mes
plaies se répand Comme le sang jaillit du taureau qu’on égorge sur moi qui sous
l’autel suis ce taureau mourant.
La cité écartant écarlate les cuisses est la fille fardée au néon étagée
Tel un mal aux couleurs monstrueuses en grappes entonne sa cuvée aux couloirs des meublés.
L’odeur de mâle sort par bouffées des boutiques peintes en rose obscène et dont le seuil offert
Est un rideau fendu comme de grandes lèvres sur les dévotions de chapelains d’enfer.
Leur hantise de Toi est l’anneau labyrinthe encerclant l’origine avant l’aube des temps.
Tu n’es que l’oeil dément qu’entoure la spirale du délire lové qui sommeille, serpent.
Dérouler son horreur c’est dégager la source non point de tes menstrues mais d’un sang baptismal
Où naissant l’un de l’autre immolés l’un à l’autre nous ne formons qu’un seul sacrifice final.
Quelle compassion pour ces hommes que mène un désir croirait-on si tristement banal
Et qui pourtant leur vient de la mère sans borne où spores ils flottaient dans l’amour prénatal !
Peu parviendront hélas à traverser sans ombre ce lieu d’ombre obsédant à la plupart fatal
Dédale dont tout point est le centre et digère le vertige annelé sur son œil abyssal
Sur l’affreux leurre informe aux formes innombrables qui les livre aux abois de l’antre primordial.
Noire noire Tu es et mille fois mortelle tant que l’homme s’acharne à Te multiplier
Noire et mortelle tant que fut-ce en une seule en dehors de lui seul il vit de Te chercher.
Le voyage infernal la descente nuptiale ô Très-Grande consens que je les fasse en moi
Qu’en toute autre que Toi renonçant à Toi-même en moi je touche à Toi comme à mon au-delà.
Au-delà tout au fond que je touche à mon centre où la source jaillit d’un cœur dont je ne sais
Qu’à l’instant d’y capter l’aube de ma naissance qu’il fut le mien du temps où sans lui je n’étais.
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La Mort est de toujours la mère aux yeux d’argile Tournés vers le dedans de l’extrême lointain Son regard me poursuit par les rues de la ville Où tant d’autres pour moi s’allument mais en vain
Me poursuit et me guide au cœur du labyrinthe Dont le centre et l’issue coïncident en moi Ce moi-même absolu dont mon âme est enceinte Cest quand je la rendrai qu’elle l’enfantera
J’avance entre deux rangs de femmes qui se figent Aussitôt que mon ombre arrive à leur hauteur Saisie dans toutes les postures du vertige C’est la même vivant chaque instant des douleurs
Se relayant dans ton effort pour que je naisse Aucune jusqu’ici ne m’a donné le jour Aucune cependant qui ne soit ô Déesse Un reflet différent de ton unique amour
Celle qui me prendra la main dans le passage C’est elle par-delà les mers qui me conçut Pour retourner en elle à ce premier rivage Dois-je redevenir le germe que je fus
N’ai-je cherché à travers toutes que le ventre Dont bien avant qu’elles ne fussent j’étais né Hanté de ce besoin d’engendrer où que j’entre L’enfant-moi qui mourut sitôt abandonné
Mère, pitié! délivre-moi de tes figures Accepte que je sois ton aveugle miroir Laisse-moi me semer néant dans ta nature Pour que tu veuilles de ce rien me concevoir
L’homme qui contemple Le plaisir de la femme Sous lui
Est comme une barque Ancrée au port Quand le temps grossit Aspiré arraché Labouré par l’écume Embarquant à se rompre Les coups de mer Mais sûr de son ancre Tout au fond
Tellement qu’il l’oublie Jusqu’à ne plus être Que Cela
Ce Jeu dont la règle Se passe de lui Cet abîme à l’assaut De soi-même à la crête Où ses cris de mouette . Becquettent l’infini
Pourtant dans l’œil à pic II règne une paix glauque Elle fixe l’homme
Depuis le Fond Parfois à cet instant L’homme T’invoque Mais c’est en vain Le Fond est au-delà Même de Toi De Toi l’Être sans fond A perte d’être
Le vert la transparence Adviennent sans que rien Eût-ce été homme ou femme En soit distinct Tant qu’il y a quelqu’un là Ce n’est personne
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Mourir et naître étant l’avers et le revers d’un Acte unique Ce monde-ci est-il l’avers ou bien quelque autre nul ne sait Étant mort à ce côté-ci vit-on en même temps de l’autre Ou bien l’autre ne serait-il que le dedans de cet ici L’un et l’autre ne forment-ils qu’un seul et même paysage Que grand soleil et noire nuit tous deux emplissent sans partage Pour qui vaque les yeux ouverts comme obturés de leur éclat Pour qui voit tout sans le savoir par le regard sans fond de l’Être Lequel rend neuve toute chose en faisant d’elle ce qu’elle est
Tu n’es Toi-même rien de plus que cette simple transparence Ni rien de moins que l’absolu de part et d’autre qui S’y voit Lorsque le cerisier en fleur trace des signes dans la brise L’âme derrière la croisée est cette brise qui écrit Bien qu’en deux mondes séparés l’âme et l’arbre se correspondent Entre eux la vitre qu’est la Mort n’existe pas pour le regard O Vacuité que l’âme un jour en ta membrane sans limite Soit pure osmose et n’ait désir d’entrer en Toi ni d’en sortir Pure Présence n’ayant lieu ni de naître ni de mourir
Que le sage en chemin vers Toi gravisse abrupte la montagne Ou qu’il T’oublie en s’oubliant dans ce qu’il fait au jour le jour Rien ne compte de ses journées que la poussière à ses semelles Il est cette poussière usée que soulève le vent vers Toi Qui fus pour lui voilà longtemps ce sourire de la mémoire Poignant le cœur lorsque les traits de l’amante se sont brouillés
Toi qui en lui es maintenant l’arrière-bleu du ciel qui s’ouvre Par tous les temps bien qu’il l’ignore au chœur des mondes agités Auquel son sein d’un rythme égal s’accorde avec humilité
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Toute-lointaine ! sanctifie du don des larmes Ceux que la grâce du visage féminin Emplit de telle nostalgie que le trop-plein En est l’abîme désirant qui les sépare De la Beauté passant en elle tout désir Nostalgie par les yeux dans les leurs d’une femme Dont ceux qu’elle éblouit perdent incontinent Leur âme dans l’excès de ce ravissement Mais dont ceux qu’elle point savent que c’est leur âme Qui d’aussi loin que Toi leur intime un Amour Tel un gouffre à l’emporte-cœur trouant les jours.
Cet Amour à l’étroit dans le vide des sphères
La face humaine est l’infini qui lui convient
En miroir double des principes qu’il conjoint
L’homme s’y éprenant de son ombre lunaire
La femme y pressentant sous ses traits le rocher
Chacun devine là qu’il est l’autre en abîme
Et que l’autre est le gouffre en lui de l’unité
Le gouffre et tout au fond la source enfin captée
L’inaccessible devenant la tout intime
Où les regards ne font qu’une âme aux yeux fermés
Dans l’extase du don des larmes partagées.
Quand le désir n’est plus de rien que de ces larmes La face de la terre en est renouvelée
Tout semble contempler son essence voilée
Les yeux s’illuminant de pleurs voient l’innombrable
Dans l’Un comme scintille au soleil leur rosée
Sagesse! rien n’est plus qui ne soit tout l’ensemble
Tout et l’Autre du Tout le rose du couchant
Sur l’abrupt et la rose assoupie d’un sourire
Sur le visage clos de l’homme méditant
Et ce regard qui pèse aussi peu sur les choses
Que la caresse de la paume d’un enfant.
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Méditer sur cette chose neuve que nulle main n’a façonnée. Contempler, intacte, l’Idée qui prit chair au sein d’une femme Puis naquit pour que cette chair devienne Idée. La voici : parfaite est sa forme. Et son souffle si doucement régulier Que même une aigrette de dent-de-lion ne bougerait sous sa narine. Tel aussi est le rythme du cœur. Méditer sur cette haleine, ce rythme. Que s’y accordent le cœur,
les poumons. Que les yeux se ferment sans battre des cils pour imiter ce lisse visage Souriant à l’inconnaissable Dedans.
Méditer, contempler la distance. Vitre d’éther, transparence scellée. Méditer, dans l’aube gélive, la respiration sans buée De la pure beauté qui s’ignore. Qui ne se fait nulle image de soi, ni en miroir, ni. dans les
yeux d’autrui. Qui, simplement, est. Et son âme comme la lune bleue sans pensée Immobile, invisiblement se déplace.
La virginité, qu’est-ce là pour un homme? Ce vocable femelle, cette peau à crever.
Fille sans hymen serait fille sans preuve, comme l’est aussi de lui-même l’époux
Que n’atteste le descellement de la source.
Vierge doit s’entendre : rompre, passer outre. Ce dont l’homme s’assure par le viol nuptial
Est qu’il soit à jamais le Premier à forcer cette entrée d’un secret qui en soi ne subsiste
Que le temps qu’il faut pour le violer.
La virginité de la fille déclose est à l’homme pennon de virilité. S’il ne peut lever telle marque de gloire, il répudiera à la face des siens La femme dans la honte de l’aube.
Sa virilité, qu’est-ce là pour un homme? Ce dont le symbole est le
sang de l’hymen. Sa réponse au défi primordial par lequel l’origine scellée dont le Rien
est le sceau Somme d’être pour qu’elle soit l’orgueil mâle. Cet orgueil qui se rue de plus loin que la Vie est semblable à l’ivresse
s’emparant d’une armée Au moment qu’elle éventre les grandes portes du temple plein
d’enfants et de femmes faits pour être égorgés Au cœur de la Cité haute interdite. Car l’autel et la vierge sont voués de toujours à ce sacrilège que leur
mystère suscite Et dont les fureurs faussement aveugles sont le culte vrai que
l’homme lui rend Ne pouvant que le transgresser pour l’atteindre.
Méditer, méditer sur l’absence de vitre. Sur le fait que de vitre il n’y
a point là. Et pourtant l’esprit qui ne voit que lumière croit que c’est une vitre
entre lui et sa vue Qu’en lui devant lui rien n’arrête. Tel est bien le visage auquel n’adhère aucun mot. Ni plein, ni vide,
ni clos, ni ouvert. Ni lointain, ni proche, ni secret, ni visible, ni rond, ni sans bords,
ni regard, ni miroir, Bien qu’en chaque mot il ait forme.
Et, là-devant, l’homme. Interdit. En arrêt. Lui qui n’est de sa masse entière que sexe
Tellement pesant à cet instant même que son poids se porte vers sa
corne, taureau Bandé, bloqué par le Rien qui fait face. Qu’ainsi se conçoive la naissance des mondes. Provocation par le
Néant pur
D’une force qui fonce et qui freine aussitôt de sentir son absence
bâiller là sans mesure La piégeant à s’y mesurer.
Contempler sans ciller l’absolu cercle blanc qui obture l’issue et
pourtant est l’issue A l’extrême horizon de ce cône vivant qui sur lui se resserre en des
spasmes de sang Vagues membraneuses, montagnes. Ce côté du disque est le monde peut-être et peut-être le monde n’a
que ce côté
Quand bien même le temps et l’espace sans fin sembleraient d’ici-bas converger en abîme
Par une contraction sans répit.
Or plus l’oeil de l’esprit sur le cercle se fixe, et plus celui-ci lui paraît à la fois
Ou sa propre cornée ou la nuit sans pupille, vide opacité d’un atone au-delà
Ou paroi d’un en deçà qui le mure.
Tel à l’homme aveuglé apparaît le visage qu’une pure absence de traits rend parfait.
Homme à Rien affronté et obscur d’autant plus qu’il ne sait si l’obstacle est en lui ou bien hors
Qui le scelle autant que la vierge.
Car la vierge témoigne de la part virginale qu’est l’âme de cet homme d’elle-même ignorée.
Jamais homme s’est-il avoué qu’il fût vierge tant ce mot fait vergogne fût-il dit en secret
L’ignorance de l’avoir été semble intacte.
Et vierge faite femme qu’apprend-elle en dedans dont jamais aucun
mâle n’a saigné la science N’a vécu la rupture extatique le don qui de haut en bas déchire
ouvre conçoit L’autre monde dont cette femme est la brèche?
Méditer, méditer sur l’essence, ineffable état virginal
Non point tant d’une femme ou d’un homme distincts que de l’Être indivis de Soi-même
Sans besoin d’être le Même ou l’Autre étant l’Un.
Le visage de la jeune fille, c’est l’Un d’autant mieux caché qu’il est vu.
Et lui aussi, ce jeune homme vierge, il a le visage d’une jeune fille :
Innombrable est le seuil unique de l’Un.
Ainsi donc émanant de la face limpide la clarté sans limite ne se porte vers rien
Cest plutôt qu’un regard une lune impalpable un éther antérieur de toujours à ce jour
Que l’appel à y retourner en fit naître.
L’Etre avant la pensée y jouit de son aube que ne verra nul œil prédateur de pensées
De son aube non née cette opale miellée substance en qui est tout et dont rien n’est formé
Dorant de son Néant ces yeux vierges.
Voici l’homme et la femme en regard l’un de l’autre dès l’aube originelle en tous les univers.
Dans l’orbe de l’atome et l’ellipse de l’astre, dans le noir immuable ému de sa buée
Dans l’acier de l’épée flamboyante.
Avant l’homme premier et la première femme il y a de toujours ce chiffre Deux en Un
Il y a ce frisson résonnant à soi-même tel un soleil rasant fait
vibrer l’océan Il y a l’Être qui soudain rêve d’être. Conscience sans bords identique à son Ombre comme la vue peut
l’être à l’éblouissement Comme un homme ébloui d’une femme est pour elle seulement cet
éclat que projette sur lui Sa beauté dont lui-même il s’aveugle.
Ce que la femme voit dans le regard de l’homme c’est qu’elle est le
foyer en lui de sa clarté Ce que la femme voit d’elle au regard de l’homme est ce reflet de
l’Un qui la fait exister Absolue entre l’absolu et cet homme. C’est lorsque leurs regards l’un en l’autre s’effacent que la distance
entre eux s’éveille firmament. Le clivage de l’Un en miroir recommence dans l’hésitation de
l’émerveillement : Que faire? et les années-lumière s’éloignent.
Que faire ? la plus haute amplitude est atteinte. Le regard désormais
va refluer, laisser Un monde à découvert de choses désirables comme autant de jalons
de cet éloignement Mutuel des amants l’un vers l’autre. Jamais ils ne mettront entre eux assez de champ pour l’étroit corps
à corps qui les fend en avant Chacun s’ouvrant à l’autre ensemble et le forçant jusqu’à ne plus
savoir lequel est homme ou femme Soudés en Un ! mais l’univers est leur mêlée. Car partout furieusement l’un contre l’autre se compénètrent les
principes séparés Multipliant amplifiant éternisant jusqu’à l’épuisement de l’Un dans
son Néant Le déchirant duel des créatures.
Méditer, Déesse! méditer l’extinction de tout désir par un plus
haut désir Et du plus haut désir qui est de Rien par le Rien même sans désir Par l’effacement graduel du sourire. Les yeux fermés rendent l’espace virginal à ce regard qui n’est posé
sur rien Mais trace sur les eaux d’En Haut l’envergure la signature du Vide Aigle immuable dont la pupille est en tout point.
Contempler, vénérer, Déesse! le fond de l’être où l’âme doucement s’éteint
Contre la rive comme un pli de l’eau quand elle oublie même le vide
Laissé par la face effacée.
Révérence, Révérence, Déesse! à la virginité non pour l’idée qu’en ont les hommes
Mais pour l’instant au bord de l’âme où ne font qu’un le regard et le courant
Et tout au fond ce galet bleu jaune, la lune.
Ma maison est plongée dans la nuit Ma raison est plongée dans la nuit Mais au seuil je veille. Fascinante, ô nourrice d’effroi Ta douceur laiteuse menteuse Carnassier ton silence aux dents blanches Mortelles tes gelées.
Adossé à mon ombre je veille L’oreille à tes lointains. L’oreille tendue vers mon âme Dont le nom n’est plus l’âme Depuis que nul n’y croit. Tu es la frontière intérieure Entre cette âme et moi.
Tu règnes sur trois royaumes :
Le jour, la nuit, le dedans.
Tu estompes le bleu des montagnes
Tu luis sous les traits lisses des femmes
Comme au fond d’un lac.
L’homme qui dort nu à ta face
Peut en perdre le sens.
Je ne vois de toi que le voile Que te fait ta clarté
Dont la transparence me cache
Son opacité.
Ta procession dans la nuit
Hiératiquement lente
Est révérée des loups.
Les pupilles des loups sont des astres
Qui rouges ne se lèvent jamais
Du bas de l’horizon.
Astres d’un envers de ce monde
Qui est ce monde point par point vu d’en bas
Où ta danse férocement écarlate
Laisse blanc ton œil blanc.
Très blanche de peau et très noire
Vierge à faire trembler
Je respire par-dessus ton épaule
Cette autre qui est toi.
L’odeur fauve touffue, tiède et moite
Qu’un parfum nacré alanguit
Me dilate les pores.
Lune n’exhalant sans haleine Qu’immuable froidure à minuit Sous la bure nocturne tu es Plus lascive qu’une oasis de l’Egypte Qu’épice le vent des palmiers. Dans tes cheveux et ton cou Des chaleurs s’évaporent
Qui te fixe les yeux en dehors Ce regard est son suaire de pierre Lui-même il est sa borne partout En vue s’interdisant son entrée Avoir du flair le rendrait si honteux Que sa raison a les narines pincées Une équerre inodore.
Qui te contemple l’oeil clos en dedans
Hume de tout son corps l’invisible.
Le couvert de tes fortes aisselles
A l’odeur de rousse étoilée.
Là-haut quant tu lèves les bras
Elle m’instruit des constellations qui gouvernent
Ton jumeau ton envers.
C’est lui que je veux atteindre !
Les hommes sans flair, les fauteurs de droites
Le nomment enfer.
Ceux dont tu es la taie, les aveugles,
Soleil, pour s’y brûler.
Pour qu’ils sentent par leurs brûlures
Ce qu’ils ne peuvent voir.
Depuis qu’elle sait le nommer
Je sais que j’ai une âme.
Elle est, il est le Feu.
Toi plus en moi que moi-même
Vierge mère du Feu
Mets-le bas au plus bas au plus froid
De la folie calculatrice le monde.
De tous les calculs possibles de l’homme
La somme est le chaos.
Tout savoir en cette cendre s’achève.
Le zéro enfin absolu
Est l’Œuf de l’éternelle Naissance
Où toute chose advient de toujours
Avant qu’aucune ait encore commencé.
Contraire de l’ordre, ô Sagesse!
Feu au plus noir de l’hiver
Quand le cœur est un cristal de ténèbre,
Désir concentré en néant
A ton point de rupture
Sois enfin, propage tout être
En un seul incendie!
Quand l’homme allume la femme
Tel un soleil la mer
Que jusqu’à l’incandescence
Jouisse en eux l’univers.
Que l’égarement soit leur guide
Et les flammes qu’ils propagent la Voie
Les menant à Toi.