Le dernier chant

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par Pierre François Lacenaire
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En expirant, le cygne chante encor,
Ah laissezmoi chanter mon chant de mort !…

Ah laissezmoi chanter, moi qui sans agonie
Vais vous quitter dans peu d’instants,
Qui ne regrette de la vie
Que quelques jours de mon printemps
Et quelques baisers d’une amie
Qui m’ont charmé jusqu’à vingt ans !…

Salut à toi, ma belle fiancée,
Qui dans tes bras vas m’enlacer bientôt !
A toi ma dernière pensée,
Je fus à toi dès le berceau.
Salut ô guillotine ! expiation sublime,
Dernier article de la loi,
Qui soustrais l’homme à l’homme et le rends pur de crime
Dans le sein du néant, mon espoir et ma foi.

Je vais mourir… le jour estil plus sombre ?
Dans les cieux l’éclair atil lui ?
Sur moi voisje s’étendre une ombre
Qui présage une horrible nuit ?
Non, rien n’a troublé la nature.
Tout est riant autour de moi,
Mon âme est calme et sans murmure,
Mon coeur sans crainte et sans effroi
Comme une vierge chaste et pure.

Sur des songes d’amour je m’appuie et m’endors,
Me direzvous ce que c’est qu’un remords ?

Vertu, tu n’es qu’un mot, car partout sur la terre
Ainsi que Dieu je t’ai cherchée en vain !
Dieu ! Vertu ! paraissez, montrezmoi la lumière !
Mon coeur va devant vous s’humilier soudain.
Dieu ! mais c’est en son nom qu’on maudit, qu’on torture
Celui qui l’a conçu plus sublime et plus grand ?
La vertu !… n’estce pas une longue imposture
Qui dérobe le riche au fer de l’indigent ?
On n’en demande pas à l’opulence altière,
On en dispense le pouvoir,
Le pauvre seul est tenu d’en avoir.
Pauvre à toi la vertu ! Pauvre à toi la misère.

A nous le vice et la vie à plein verre !
Vous ! mourez sans vous plaindre : estce pas votre sort ?
Mourez sans nous troubler ou vous êtes infâmes.
J’ai saisi mon poignard et j’ai dit, moi : de l’or !…
De l’or avec du sang… de l’or et puis des femmes
Qu’on achète et qu’on paye avec cet or sanglant.
Des femmes et du vin… un instant je veux vivre…
Du sang… du vin… l’ivresse… attendez un instant
Et puis à votre loi tout entier je me livre…
Que voulezvous de moi ? vous parlez d’échafaud ?
Me voici… j’ai vécu… j’attendais le bourreau.

La Conciergerie, 28 novembre.

Pierre François Lacenaire

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