L’âge futur

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par Pierre-Jean de Béranger
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Je le dis sans blesser personne,
Notre âge n’est point l’âge d’or :
Mais nos fils, qu’on me le pardonne,
Vaudront bien moins que nous encore.
Pour peupler la machine ronde,
Qu’on est fou de mettre du sien !
Ah ! pour un rien,
Oui, pour un rien,
Nous laisserions finir le monde,
Si nos femmes le voulaient bien.

En joyeux gourmands que nous sommes,
Nous savons chanter un repas ;
Mais nos fils, pesants gastronomes,
Boiront et ne chanteront pas.
D’un sot à face rubiconde
Ils feront un épicurien.
Ah ! pour un rien,
Oui, pour un rien,
Nous laisserions finir le monde,
Si nos femmes le voulaient bien.

Grâce aux beaux esprits de notre âge
L’ennui nous gagne assez souvent ;
Mais deux instituts, je le gage,
Lutteront dans l’âge suivant.
De se recruter à la ronde
Tous deux trouveront le moyen.
Ah ! pour un rien,
Oui, pour un rien,
Nous laisserions finir le monde,
Si nos femmes le voulaient bien.

Nous aimons bien un peu la guerre,
Mais sans redouter le repos.
Nos fils, ne se reposant guère,
Batailleront à tout propos.
Seul prix d’une ardeur furibonde,
Un laurier sera tout leur bien.
Ah ! pour un rien,
Oui, pour un rien,
Nous laisserions finir le monde,
Si nos femmes le voulaient bien.

Nous sommes peu galants, sans doute,
Mais nos fils, d’excès en excès,
Egarant l’amour sur sa route,
Ne lui parleront plus français.
Ils traduiront, Dieu les confonde !
L’Art d’aimer en italien.
Ah ! pour un rien,
Oui, pour un rien,
Nous laisserions finir le monde,
Si nos femmes le voulaient bien.

Ainsi, malgré tous nos sophistes,
Chez nos descendants on aura
Pour grands hommes des journalistes
Pour amusement l’Opéra ;
Pas une vierge pudibonde ;
Pas même un aimable vaurien.
Ah ! pour un rien,
Oui, pour un rien,
Nous laisserions finir le monde,
Si nos femmes le voulaient bien.

De fleurs, amis, ceignant nos têtes,
Vainement nous formons des vœux
Pour que notre culte et nos fêtes
Soient en honneur chez nos neveux :
Ce chapitre que Momus fonde
Chez eux manquera de doyen.
Ah ! pour un rien,
Oui, pour un rien,
Nous laisserions finir le monde,
Si nos femmes le voulaient bien.

Pierre-Jean de Béranger

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