02 – Le fruit sur l’arbre prend sa fleur, et puis se nouë… [XI à XX]
XI.
Le fruit sur l’arbre prend sa fleur, et puis se nouë,
Se nourrit, se meurit, et se pourrit enfin :
L’homme naît, vit et meurt, voila sur quelle rouë
Le temps conduit son corps au pouvoir du destin.
XII.
Cette vie est un arbre, et les fruits sont les hommes,
L’un tombe de soi-même, et l’autre est abattu,
Il se dépouille enfin des feuilles et des pommes,
Avec le même temps qui l’en a revêtu.
XIII.
La vie est une table, où pour jouer ensemble
On voit quatre joueurs : le temps tient le haut bout,
Et dit passé, l’Amour fait de son reste et tremble,
L’homme fait bonne mine, et la Mort tire tout.
XIV.
La vie que tu vois n’est qu’une Comédie,
Où l’un fait le César, et l’autre l’Arlequin :
Mais la Mort la finit toujours en Tragédie,
Et ne distingue point l’Empereur du Faquin.
XV.
La vie est une guerre étrangère et civile,
L’homme a ses ennemis et dedans et dehors :
Pour conserver le sort, la Mort abat la Ville,
Et pour sauver l’esprit elle détruit le corps.
XVI.
Le Monde est une mer, la Galère est la vie,
Le Temps est le Nocher, l’espérance le Nort,
La Fortune le vent, les Orages l’envie,
Et l’Homme le forçat qui n’a port que la Mort.
XVII.
Volontiers je compare au Parlement le Monde,
Où souvent l’équité succombe sous le tort,
Où sur un pied de mouche un incident on fonde,
Et où l’on ne peut rien contre un Arrêt de mort.
XVIII.
Le monde est de l’humeur d’une belle maîtresse,
Qui fait plus de jaloux qu’elle ne fait d’amis.
Elle dédaigne l’un et l’autre elle caresse,
Et ne tient jamais rien de ce qu’elle a promis.
XIX.
La saveur de la vie est la Sphère de verre,
Où Archimède mit les Astres et les Cieux,
Aussi belle que frêle, un léger coup de pierre
Ôta tout le plaisir qu’elle donnoit aux yeux.
XX.
Cet honneur t’altérant d’une soif d’hydropique,
En pensant l’avaler t’étrangle bien souvent:
C’est un ballon enflé, la Mort vient et le pique,
Et te fait confesser que ce n’est que du vent.