Piéton
Le soir
Il y a des bras dans la rue qui s’étreignent
Des mains dans le jardin
Des plaies qui saignent
Il y a des murmures dans le vent
D’où viennent les voyageurs qui passaient sur le chemin
Où mène aussi la grand’route qui croise le chemin
La maison seule au carrefour
Les plaintes dans les arbres qui ont ri tout le jour
Les lignes de la main
Les lignes de la terre
Sur les routes et les chemins qui se croisent
Près de la chapelle en passant ils ont cherché l’ombre et le repos
Avant la nuit
La terre tourne autour de cette borne kilométrique et le mouvement s’étend
Il y a un va-et-vient du centre
L’impulsion se donne par les roues par les pieds
Elle vient d’en bas sur la plaine et le cadran l’arbre et l’aiguille marquent le point du jour
Le soleil court sur chaque ruisseau
La haie brisée la terre monte
Et à pied l’on vient d’un autre pays d’un autre monde
Des rayons en zig-zag s’abattent sur le pont battant les arches et c’est là qu’on se rencontre
C’est une frontière
L’univers entier tient dans ma main
Les étoiles le ciel le vent le soleil
il pleut
Les nuages c’est la tête la tête le phare
On ne peut pas tout voir
La distance s’étend mollement sous les pieds
C’est la plage le sable mouvant
On n’avance pas et le temps passe
On n’arrivera pas
Au moment où le couvercle retombe à l’horizon avec un bruit de machines vers le port
Le globe est fermé
On ne voit plus rien
Puis les yeux s’habituent
Une faible lueur revient le couvercle est si vieux
Il y a des trous
Il y a aussi celui de la serrure aussi rond que le soleil éteint
Derrière le plafond
La lumière est plus dure
La lune
Elle n’est pas là
C’est la nuit noire
Sous le hangar ouvert devant toute la terre avec
sérénité
La porte isole du monde
On a sommeil
Une heure vient où tout s’affaisse devant le sommeil
On pense à se coucher n’importe où
Les voitures pourraient passer on ne bouge pas
On dort
Le hangar est sans toit
Sommeil
Tout redescend
On reste en l’air
Le sol devient glissant et tourne
tourne
On dort tout en marchant
Sommeil
On marche
Il faut marcher pour que la terre tourne tout autour du soleil
Je voudrais m’arrêter pour boire
Je me rappelle avoir marché le long des baraques fermées au bord de l’eau
Je me souviens de la saison qui descendait peu à peu avec la nuit
On allumait des lampes entre les arbres et en bas des femmes se dressaient auprès d’autres lumières
Les marchands de passage faisaient du bruit
Ces nomades riaient indifférents et étrangers dans le pays
On les regardait avec curiosité
Et en partant on n’aurait pas pu dire ce qu’ils emportaient
Dans un creux de la ville des musiques jouaient
Un manège de lumières ou d’étoiles tournait
Le lendemain tout paraissait dormir
Mais il y avait quelque chose qu’on cachait
Je me rappelle avoir marché le long des baraques fermées au bord de l’eau
Les tringles qui se tendent donnent le mouvement
L’aile s’incline
La poussière est devant
Ce sont des voitures qui s’en retournent dans le vent
On ne sait pas ce qui va se passer
Les roues tournent
L’orage éclate
Et le tonnerre est sous le pont où je me cache
Je me rappelle avoir marché contre les arbres qui saignaient
A l’entrée des villages et des villes qui s’ouvraient
Les portes des villes
Elles mangent
Englouti dans les artères et les veines de l’autre côté ce n’est plus le même
En ressortant on a vieilli on a changé
Déjà dix ans
Je me rappelle être passé le long des murs et des fossés
Tout près de la maison aveugle et isolée
L’étoile et l’homme étaient chez eux
La nuit tout se confond une vitre allumée rend le trou plus profond
Le rideau enroule le vent
L’esprit du monde qui se tend
Et les pages du livre tournent
Le moteur en avant
L’oiseau qui allait partir redescend
Je rentre
Une maison se dresse
A-t-on marché longtemps
Les chemins se croisent aussi vite en même temps
Et cette pierre qui n’a pas bougé
Entre deux dates rapprochées tout s’efface
—
Si tard
Pierre Reverdy