Charles-Marie LECONTE DE LISLE
Charles Marie René Leconte de Lisle, né le 22 octobre 1818 à Saint-Paul dans l’Île Bourbon et mort le 17 juillet 1894 à Voisins, était un poète français.
Leconte de Lisle passa son enfance à l’île Bourbon et en Bretagne. En 1845, il se fixa à Paris. Après quelques velléités lors des événements de 1848, il renonça à l’action politique et se consacra entièrement à la poésie.
Son œuvre est dominée par trois recueils de poésie, les « Poèmes antiques » (1852), les « Poèmes barbares » (1862) et les « Poèmes tragiques » (1884), ainsi que par ses traductions d’auteurs anciens.
Il est considéré comme le chef de file du mouvement parnassien, autant par l’autorité que lui a conférée son œuvre poétique propre que par des préfaces dans lesquelles il a exprimé un certain nombre de principes auxquels se sont ralliés les poètes d’une génération – entre la période romantique et le symbolisme – regroupés sous le vocable de parnassiens à partir de 1866.
L’Empire s’était honoré en lui assurant une pension et en le décorant ; la République l’attacha à la bibliothèque du Sénat, dont il devint sous-bibliothécaire en 1872, et le nomma officier de la Légion d’honneur en 1883.
En 1886, neuf ans après une première candidature infructueuse à l’Académie française, Leconte de Lisle fut élu, succédant à Victor Hugo. Et ce fut une séance mémorable que celle du 31 mars 1887, où Leconte de Lisle fut reçu par Alexandre Dumas fils.
********
Cette section reprend une grande partie d’un discours prononcé par Jean Mistler à la Bibliothèque nationale, le 23 septembre 1977)
********
Il naquit à Saint-Paul en 1818, et cette île berça son enfance sous ses palmiers peuplés d’oiseaux éclatants. Son paysage intérieur a été formé de ces images, de ces couleurs, de ces parfums. En écrivant ses poèmes bibliques, il n’a eu nul besoin de puiser dans les récits de la Genèse pour évoquer le paradis terrestre, il lui a suffi de se souvenir.
Leconte de Lisle avait trente ans lorsque la Révolution de 1848 apporta la liberté aux esclaves. Sans attendre cette date, il avait combattu le servage dans ses premiers écrits, notamment dans les deux nouvelles publiées vers 1845 : l’une montrait le Noir Job amoureux de la créole Marcie, et l’autre, un esclave, Sacatove, qui enlevait sa jeune maîtresse. Ces deux récits finissaient dans le sang et de manière un peu mélodramatique, mais ils montrent que le problème de l’égalité des hommes se posait déjà fortement pour le jeune écrivain.
Cette libération des esclaves, répondant à son idéal de justice, posa cependant de difficiles problèmes pour son père et pour lui. Réalisée peut-être après une préparation insuffisante, la réforme fut suivie, à la Réunion, d’une grave crise économique, sa famille fut ruinée et la pension que le jeune étudiant parisien recevait n’arriva plus qu’irrégulièrement, puis cessa tout à fait, et ce fut pour lui la misère.
Le groupe d’artistes décrit par Henry Murger dans sa « Vie de Bohème » ne fut pas le seul, dans le Paris de 1850, à vivre d’expédients ! Des enfants des Îles, amis de notre poète et poètes eux-mêmes, ou journalistes, tels que Lacaussade et Laverdan, d’autres nés à Paris. Thalès Bernard, Louis Ménard, connurent comme lui, non seulement des fins de mois difficiles, mais des mois entiers d’expédients et de privations, les cachets impayés à la pension Laveur en retard chez les logeuses et une liberté s’alimentant au pain et à l’eau, comme dans les prisons.
Un cousin de Leconte de Lisle, Foucque, qui est riche, ne lui donne point d’argent, mais des conseils : « Tu rimes facilement, pourquoi n’écrirais-tu pas des chansons pour Thérésa ? » Écrire, oui, le jeune homme écrira, mais pas pour les chanteuses de cafés-concerts ! Ses amis et lui-même visent plus haut : Lacaussade achève une traduction d’Ossian, Thalès Bernard travaille à un savant « Dictionnaire de la mythologie », Louis Ménard, qui gagne à peu près convenablement sa vie comme préparateur au laboratoire du chimiste Pelouze (et qui, par parenthèse, y découvrira un jour le collodion), se plonge dans l’exégèse des religions et des mythes et étudie les textes symboliques de la vieille Égypte. Les bourgeois peuvent bien rire en voyant Ménard se promener au Luxembourg, portant autour du cou un boa de plumes passablement dépenaillé, mais le soir, lorsque les amis se retrouvent, au cinquième étage de Leconte de Lisle, sans feu, autour d’une chandelle de suif qui pleure sur la table, dans l’épaisse fumée des pipes, ils évoquent les ciels lumineux de l’Orient, les marbres de la Grèce, et ce sont déjà les rêves mystiques et païens que fera revivre un jour Louis Ménard.
La politique ? Oui, ils en font beaucoup et ils ont applaudi à la chute du roi citoyen. Ils sont affiliés à des clubs d’extrême gauche et Leconte de Lisle sera même chargé d’une campagne électorale, dans les Côtes-du-Nord, par le « Club des clubs », sorte de centrale des groupements extrémistes : ce voyage ne lui vaudra que quelques horions. Il n’y a pas grand-chose non plus à retenir de sa collaboration à la « Démocratie pacifique » ou à d’autres organes plus ou moins fouriéristes. Retenons simplement – conclusion prévisible – l’échec du jeune homme à la licence en droit. Quant à croire qu’il fit vraiment le coup de feu pendant les journées de juin et qu’il alla, comme on l’a raconté, laver dans la Seine « sa figure noire de poudre », j’en doute un peu : les gardes nationales avaient la détente facile ces soirs-là, et je pense que, s’il coucha une nuit ou deux au poste, ce fut tout.
En tout cas, de cette période de bouillonnement intellectuel, Leconte de Lisle garda des opinions farouchement républicaines qui ne se calmèrent un peu qu’au spectacle de la Commune en 1871. Du moins, ce qui ne devait point pâlir, ce fut son anticléricalisme. Le poète descendit de sa tour d’ivoire – entendez le cinquième du boulevard des Invalides, ou, plus tard, le quatrième de la rue Cassette – pour rédiger un « Catéchisme populaire républicain » en trente-deux pages, et ensuite une « Histoire populaire du christianisme », qui furent ses deux plus grands succès de librairie, mais n’ajoutent rien à « Qaïn » ou à « Hypathie ».
Né dans toute l’Europe du bouleversement politique et social qui avait renversé tant de trônes et d’institutions, le romantisme prétendait apporter du nouveau, non seulement dans les arts et les lettres, mais aussi dans les idées et dans les mœurs. Le Parnasse eut des ambitions plus étroitement littéraires. Arrivant à un moment de notre histoire où s’étaient succédé, en soixante ans, sept ou huit régimes politiques, et groupant des hommes plus âgés de quinze à vingt ans que les jeunes chevelus du Cénacle, les Parnassiens cherchaient moins à régenter et à formuler des théories qu’à donner des exemples. Ils ne fondèrent pas une revue, comme avait été jadis la « Muse française », mais ils publièrent un recueil collectif de poésie, le « Parnasse contemporain », un in-octavo qui parut trois fois : en 1866, sur deux cent quatre-vingt-quatre pages, en 1869, sur quatre cent une, enfin en 1876, sur quatre cent cinquante et une. Cette dernière édition groupait soixante-neuf poètes. L’ordre alphabétique n’y était troublé que par la contribution de Jean Aicard qui, parvenue trop tard, fut rejetée à la fin. Dans les trois éditions, on retrouvait tous les noms connus, et même plusieurs inconnus. De Baudelaire à Verlaine et à Mallarmé, tous les poètes étaient là sauf le plus grand. Certes Hugo était en exil en 1866, lorsque parut le premier Parnasse, mais ses livres étaient publiés en France sans entrave. Ne fut-il donc pas sollicité ? On a peine à le croire, mais encore plus de peine à supposer qu’il aurait refusé. Les contributions étaient aussi inégales en qualité qu’en étendue : vingt-six sonnets de Heredia, vingt-quatre rondeaux de Banville, un acte d’Anatole France, « les Noces corinthiennes », un énorme poème de Leconte de Lisle, « l’Epopée du moine ». Leconte de Lisle, à qui la responsabilité des choix n’incombait point, jugeait l’ensemble sans indulgence, et voici ce qu’il en disait, dans une lettre du 19 janvier 1875 à Heredia : « Ce que je connais des rimes envoyées est assez misérable, celles de Prudhomme, de Manuel, de Mme Ackermann, de Mme Blanchecotte et de Soulary sont écœurantes. En outre, on a donné à Lemerre une poésie de Baudelaire, et absolument authentique, quoi qu’en disent quelques-uns, attendu qu’il me l’a récitée lui-même, il y a bien des années. Ces vers sont fort obscènes et non des meilleurs qu’il ait faits. » Tout ce que je sais de ce poème, c’est qu’il ne devait point figurer dans le volume paru en 1876.
Tel quel, le Parnasse contemporain fut ce qu’on appelle aujourd’hui une manifestation de masse. Son effet se prolongea longtemps après la mort de ses principaux participants, et l’Université ne fut pas étrangère à sa durée : elle retrouvait en effet chez Leconte de Lisle, et même chez Heredia, le solide héritage de la tradition gréco-latine et des poètes qui, tels Ronsard ou Chénier, avaient su la faire revivre sur le terroir français.
Reconnu chef d’école, Leconte de Lisle devait, assez naturellement, penser à l’Académie. Il ne se hâta pourtant pas et s’y présenta pour la première fois qu’à près de soixante ans. […] La modeste indemnité académique – quinze cents francs à l’époque, mais des francs-or – n’eût cependant pas été à dédaigner pour l’auteur des « Poèmes barbares », dont la situation matérielle était très difficile. Marié depuis trente ans avec une jeune orpheline rencontrée jadis chez les Jobbé-Duval, il menait la vie la plus simple : la pauvreté en redingote. Ses droits d’auteur étaient insignifiants et les articles qu’il donnait de temps en temps dans la presse, fort mal payés. Le Conseil général de la Réunion lui versait une petite subvention, mais elle fut supprimée en 1869. Le gouvernement impérial, désireux d’encourager la littérature, avait accordé au poète, à partir de 1863, une pension annuelle de 3600 francs. Les anciens rois de France avaient octroyé de telles faveurs à plusieurs écrivains et les souverains du XIXe siècle avaient repris cette tradition. Mais, après le 4 septembre, cette allocation fut retirée et on la reprocha durement à Leconte de Lisle. L’intervention de quelques amis fit obtenir au poète une modeste sinécure, un poste de conservateur-adjoint à la bibliothèque du Sénat. Son caractère ombrageux prit fort mal la chose et il écrivit à Heredia : « Ce n’est au fond qu’une insulte de plus ajoutée à toutes celles que j’ai déjà endurées. » Cependant, l’agréable appartement de fonction attaché à cette place, avec ses fenêtres sur le jardin du Luxembourg, lui fit un certain plaisir.
Chaque année, il allait au bord de la mer, en Normandie ou en Bretagne, soit dans un modeste meublé, soit chez des amis. Mais il se plaignait souvent de la chaleur excessive ! Au Puis, près de Dieppe, par exemple, en septembre 1891, il se réjouit de voir arriver « de copieuses ondées qui rafraîchissent l’air et de bons vieux nuages assez noirs qui obscurcissent l’atroce sérénité du ciel ». Mais après cette « atroce sérénité », il enchaîne, peut-être en souriant sous cape : « J’aurais dû naître ou vivre au fond de quelque fjord de Norvège, dans un perpétuel brouillard, en compagnie des phoques dont je partage les goûts et les mœurs, n’ayant jamais su lire ni écrire et fumant d’éternelles pipes en l’honneur des Dieux Norses. »
Malgré tout, ses amis, et notamment le fidèle Heredia, lui conseillent toujours de se présenter à l’Académie. Le 9 août 1883, répondant sans doute à une lettre particulièrement pressante, il écrivait à Heredia cette curieuse page qui nous introduit dans le cercle de Victor Hugo : « Quant à l’Académie, j’y renonce absolument, sauf dans le cas où Hugo mourrait avant moi… » […]
Cependant, Hugo meurt le 22 mai 1885, et alors, à l’élection du 11 février 1886, brusque changement à vue : dès le premier tour, Leconte de Lisle est élu, par vingt et une voix contre six à Ferdinand Fabre, le romancier des gens d’église ! François Coppée eut ce commentaire : « Leconte de Lisle répandra à l’Académie sa noire méchanceté, comme la seiche dans les flots de la mer. » Si c’est être méchant que d’être juste, je dois à la vérité de dire que l’auteur des « Poèmes barbares » a porté sur Coppée plus d’un jugement où la justice tient davantage de place que l’indulgence.
Il fit pour sa réception un consciencieux éloge de Hugo et, dans sa réponse, Alexandre Dumas fils ne dépassa point l’esthétique du « Demi-monde » et de « la Dame aux camélias ». Les Goncourt, qui assistaient à la séance, notèrent dans leur « Journal » que, pendant les discours, Coppée regarda beaucoup en l’air, vers la Coupole…
La fin de la vie de Leconte de Lisle fut sans grands événements extérieurs. Il ne mourut point en pleine jeunesse, comme Chénier, Nerval, Apollinaire, il n’atteignit pas non plus l’âge des patriarches, mais c’est dans ses dernières années qu’il connut le plus profondément les joies et les tortures de l’amour, et cet homme qui avait fait de l’impassibilité le premier article de son art poétique, écrivit :
« Amour, tu peux mourir, ô lumière des âmes,
Car ton rapide éclair contient l’Eternité. »
Il s’éteignit le 17 juillet 1894, en pleine lucidité.
[…] Au lendemain de sa mort, un poète écrivait que Leconte de Lisle « avait rendu leurs anciens noms aux dieux ». Oui, mais il ne s’est pas borné à ceux de la Grèce et de Rome, à ceux du Parthénon et du temple d’Égine. Son horizon ne s’est point limité à la Méditerranée classique, il y a fait entrer les vents et les nuages de tous les ciels, les houles de tous les océans. Dans cette poésie cosmique, l’histoire est présente. Oui, le même vaisseau qui emporta Hélène est toujours paré pour emporter nos rêves. Là-bas, vers ce point de l’horizon marin d’où sans cesse, depuis Eschyle, accourt l’innombrable troupeau des vagues rieuses.
********
Source :
Wikipédia
Ce contenu est soumis à la licence CC-BY-SA.