Jorge Luis Borges
Enfance
Jorge Luis Borges est fils de Jorge Guillermo Borges, avocat et professeur de psychologie féru de littérature et de Leonor Acevedo Suárez, à qui son époux a appris l’anglais et qui travaille comme traductrice. La famille de son père était pour partie espagnole, portugaise et anglaise ; celle de sa mère espagnole est vraisemblablement portugaise aussi. Chez lui, on parle aussi bien l’espagnol que l’anglais, et cela depuis son enfance.
Débuts littéraires
Pendant la Première Guerre mondiale, la famille Borges habite durant trois années à Lugano puis à Genève, en Suisse, où le jeune Jorge étudie au Collège de Genève. Après la guerre, la famille emménage de nouveau à Barcelone, Majorque puis Séville et enfin Madrid. En Espagne, Borges devient membre d’un mouvement littéraire d’avant-garde ultraïste. Son premier poème, Hymne à la mer, écrit dans le style de Walt Whitman, est publié dans le magazine Grecia (es).
Il retourne à Buenos Aires en 1921 et s’engage dans de multiples activités culturelles : il fonde des revues, traduit notamment Kafka et Faulkner, publie des poèmes et des essais. Il est à l’origine de Prisma, Proa et Martin Fierro, trois revues fondamentales pour la modernité artistique argentine au début du XXe siècle. Prisma, revue murale, se fait l’écho du mouvement ultraïste espagnol. Martin Fierro, avec comme collaborateurs Macedonio Fernandez, Oliverio Girondo, Leopoldo Marechal, Norah Lange, Ramon Gomez de la Serna, Xul Solar, Ricardo Güiraldes, Roberto Arlt et bien d’autres, marque toute une génération que l’on a appelée martinfierrista et fait connaître les jeunes écrivains sur le continent.
À la fin des années 1930, il commence à écrire des contes et des nouvelles et publie l’Histoire universelle de l’infamie, qui le fait connaître en tant que prosateur.
Principalement connu pour ses nouvelles, il écrit aussi des poèmes et publie une quantité considérable de critiques littéraires dans les revues El Hogar et Sur dont il est un temps le secrétaire. Il est également l’un des auteurs des récits policiers parodiques signés Bustos Domecq, écrits en collaboration avec son ami Adolfo Bioy Casares. Il est l’auteur de chansons sur des musiques d’Astor Piazzolla.
En 1938, il obtient un emploi dans une bibliothèque municipale de Buenos Aires. C’est à cette époque qu’il écrit Pierre Ménard, auteur du Quichotte, son premier conte fantastique. Il perd cet emploi en 1946 en raison de ses positions contre la politique péroniste, et devient inspecteur des lapins et volailles sur les marchés publics.
En 1955, le gouvernement « révolutionnaire » militaire, qui chasse Juan Perón du pouvoir, nomme Borges directeur de la bibliothèque nationale. Il devient également professeur à la faculté de lettres de Buenos Aires. Comme son père avant lui, il souffre d’une grave maladie qui entraîne une cécité progressive, laquelle deviendra définitive en 1955. Devenant peu à peu un personnage public, la Sociedad Argentina de Escritores le nomme président, en 1950, charge à laquelle il renoncera trois ans plus tard.
Reconnaissance internationale
C’est seulement dans les années 1950 que Borges est découvert par la critique internationale. L’écrivain Roger Caillois, qui avait proposé des nouvelles de lui en octobre 1944 à Buenos Aires, dans la revue Lettres françaises (numéro 14), offre Fictions, en 1951, dans la collection « La Croix du Sud », chez Gallimard. C’est une découverte pour le public français et européen. Après Drieu La Rochelle et l’importante action de Roger Caillois — reconnue par J. L. Borges lui-même qui fait de lui son « inventeur » — c’est la revue Planète qui le fait connaître du grand public.
La reconnaissance internationale de Borges commence au début des années 1960. En 1961, il reçoit le prix international des éditeurs, qu’il partage avec Samuel Beckett. Alors que Beckett est bien connu et respecté dans le monde anglophone, Borges est inconnu et non traduit, ce qui ne manque pas de susciter la curiosité des locuteurs anglophones. Le gouvernement italien le nomme Commendatore et l’université du Texas à Austin le recrute pour un an. La première traduction de son œuvre en anglais date de 1962, avec des lectures en Europe et dans la région des Andes les années suivantes.
Borges reçoit de nombreuses distinctions, telles que le prix Cervantes et le prix de la langue-française de l’Académie française en 1979, le prix Balzan en 1980 (pour la philologie, la linguistique et la critique littéraire), le prix mondial Cino-Del-Duca en 1980 et la Légion d’honneur en 1983. Il est même nommé plusieurs fois pour le prix Nobel de littérature mais ne l’obtiendra jamais, pour des raisons inconnues qui ont donné lieu à de nombreuses spéculations,.
Après la mort de sa mère (en 1975), Borges se met à voyager partout à travers le monde et ce, jusqu’à la fin de sa vie.
Mariages tardifs et fin de sa vie
Borges se marie deux fois. En 1967, il épouse une vieille amie, Elsa Astete Millán, veuve depuis peu. Le mariage dure trois ans. Après le divorce, il retourne chez sa mère.
Pendant ses dernières années, Borges vit avec son assistante, María Kodama, avec qui il étudie le vieil anglais pendant plusieurs années. En 1984, ils publient des extraits de leur journal, sous le nom d’Atlas, avec des textes de Borges et des photographies de Kodama. Ils se marient en 1986, quelques mois avant sa mort. Borges a fait de Maria Kodama sa légataire universelle. À la mort de celle-ci, en 2023, aucun document relatif à sa succession n’est retrouvé, ce qui laisse planer un doute sur l’avenir de ce patrimoine littéraire.
Borges meurt d’un cancer du foie à Genève en 1986 ; il a choisi, à la fin de sa vie, de retourner dans la ville où il a fait ses études. Il est inhumé au « Panthéon genevois », le cimetière des Rois, situé en pleine ville. La célébration a lieu à la cathédrale Saint-Pierre, où une foule évaluée à trois cents personnes est venue se recueillir : le ministre argentin de la culture, l’auteur Marcos Aguinis, les représentants du corps diplomatique argentin et de presque tout l’univers hispanophone, des personnalités d’Amérique latine, des universitaires, des éditeurs reconnaissants.
Opinions politiques
Plusieurs nouvelles de Fictions (1944) peuvent être lues comme des dénonciations du totalitarisme. Par exemple La Loterie à Babylone ou encore Tlön, Uqbar, Orbis Tertius, dont la spécialiste Annick Louis affirme dans Le Magazine littéraire qu’elle peut être lue « comme une réflexion sur un des paradigmes dominants de l’époque, — celui qui postule le réel comme une forme de chaos régi par une vérité occulte ».
Dans son essai Notre pauvre individualisme, écrit au sortir de la Seconde Guerre mondiale et publié dans le recueil Autres Inquisitions, il exprime une position libérale en renvoyant dos à dos le nationalisme et le communisme et en exprimant sa prédilection pour un État faible.
Le 22 septembre 1976, il serre la main du général Pinochet et lui exprime publiquement son admiration, ce qui, selon sa veuve, lui coûta le prix Nobel.
Trois ans plus tard, il scandalise encore en disant de Lincoln qu’il était un criminel de guerre.
Il regrette par la suite ce soutien, et qualifie de « désastreuses » les années de dictature militaire en Argentine. Lors de la chute de la dictature, il accueille favorablement le retour à la démocratie, estimant que la junte a commis « toutes les erreurs et tous les crimes possibles ». Dès 1980, il associe sa signature à une tribune dénonçant les milliers de disparitions provoquées par le régime.
Politiquement, Borges se définit volontiers comme un conservateur et, vers la fin de sa vie, a exprimé ouvertement son scepticisme face à la démocratie. Ce scepticisme transparaît dans certains de ses textes. Quand Juan Perón revient d’exil et est réélu président en 1973, Borges renonce à son poste de directeur de la bibliothèque nationale. Opposé à « l’abominable dictature du général Perón », il avait d’abord soutenu la junte militaire au pouvoir.