Philippe-Auguste-Mathieu VILLIERS DE L'ISLE-ADAM
Jean-Marie-Mathias-Philippe-Auguste de Villiers de L’Isle-Adam, dit le comte puis (à partir de 1846) le marquis de Villiers de L’Isle Adam, est un écrivain français d’origine bretonne, né à Saint-Brieuc, le 7 novembre 1838 et mort à Paris le 18 août 1889. Appelé Mathias par sa famille, simplement Villiers par ses amis, il utilisait le prénom d’Auguste sur la couverture de certains de ses livres.
Sa vie
Auguste de Villiers de L’Isle-Adam naît à Saint-Brieuc, au 2 de la rue Saint-Benoît, le 7 novembre 1838. Il est le fils unique du marquis (titre de courtoisie) Joseph-Toussaint-Charles (né le 30 août 1802 à Maël-Pestivien, décédé le 1er décembre 1885) et de Marie-Françoise Le Nepvou de Carfort-Daniel de Kérinou, mariés le 31 mai 1837, à la mairie, puis, le 1er juin, à l’église.
Après un long et pénible exil en Angleterre sous la Révolution et l’Empire, le grand-père de l’écrivain, Jean-Jérôme-Charles, dit Lily, fils de Charles-François, passe sa jeunesse au manoir de Kerohou en Maël-Pestivien, avant de s’embarquer à vingt ans pour l’Orient. Après plusieurs années de navigation, il s’installe au manoir de Penanhoas en Lopérec, dont il a hérité, devient chouan, et se fait grièvement blesser près de Quintin. Il doit quêter quelques subsides sous la Restauration, avant de recevoir 27 000 francs de l’État en 1826, après le vote du milliard des émigrés (1825).
De son côté, le marquis Joseph-Toussaint-Charles, père de l’écrivain, a l’idée de fonder une sorte d’agence de recherche généalogique pour aider certains héritiers à récupérer leurs biens, après les bouleversements de la Révolution et de l’Empire. Toutefois, emporté par ses lubies, il se livre à des spéculations financières ruineuses et, en 1843, sa femme est contrainte de demander une séparation de biens (qui lui est accordée en 1846) pour préserver son héritage.
En 1845, la famille s’installe à Lannion, chez la marraine et parente de la mère d’Auguste, Mlle de Kérinou. Entre 1847 et 1855, le jeune Villiers suit des études chaotiques dans diverses écoles de Bretagne ; il est interne au petit séminaire de Tréguier, puis à Rennes en 1848 (dans l’ancien collège Saint-Vincent de Paul), au lycée de Laval (1849-1850), de nouveau à Rennes, à Vannes (collège Saint-François-Xavier) en 1851, où il a pour condisciple le futur peintre James Tissot, et encore à Rennes. Dans ces intervalles, il aurait eu des précepteurs religieux à domicile. Toutefois, il se montre très doué pour le piano et découvre la poésie. En 1855, le marquis vend sa maison et ses terres, et emmène sa famille à Paris. Dans la capitale, Auguste fréquente quelques cafés d’artistes, quelques salons où son nom l’introduit, et y rencontre un certain succès. Il se lie ainsi avec Catulle Mendès et Jean Marras en 1860 et rencontre, à la Brasserie des Martyrs, François Coppée, Charles Baudelaire, Leconte de Lisle. Il commence à collaborer à quelques feuilles obscures. Toutefois, en 1856, son père est interné à la prison de Clichy pour dettes. En 1857, inquiets de ses fréquentations, les parents du jeune écrivain veulent l’envoyer faire une retraite à l’abbaye de Solesmes, dont le supérieur, Dom Guéranger est un ami, ce qu’il refuse.
Il publie son premier livre, Deux essais de poésie l’année suivante, puis commence une carrière de journaliste, en décembre 1859 avec deux articles de critique musicale dans La Causerie de Victor Cochinat. Le même mois, il fait paraître, à compte d’auteur, ses Premières poésies chez N. Scheuring à Lyon, qui passent inaperçues. En août 1862, il publie à compte d’auteur et à cent exemplaires, chez Dentu à Paris, le premier volume d’Isis, un roman dont la suite ne paraît jamais. Le 28 août, ses parents l’obligent à faire un séjour à Solesmes, où il demeure jusqu’au 20 septembre. En 1863, il noue une liaison avec Louise Dyonnet, une demi-mondaine, mère de deux enfants, et accomplit un séjour de quinze jours, en août, à Solesmes, où il rencontre Louis Veuillot. En 1864, alors qu’il rompt avec Louise Dyonnet, il fait la connaissance de Flaubert et se lie d’amitié avec Mallarmé ; son père fait une nouvelle fois faillite.
En mars 1866, il fait paraître chez Guyon Francisque à Saint-Brieuc Morgane, un drame en cinq actes qu’il destine au théâtre de la Gaîté, ainsi qu’une seconde édition d’Elën, drame de 1865. En mai, trois poèmes du premier fascicule du Parnasse contemporain sont de Villiers. De même, au printemps, il se fiance avec Estelle, la seconde fille de Théophile Gautier, dont l’aînée, Judith, vient d’épouser Catulle Mendès. Les fiançailles sont rompues en janvier 1867, les parents de Villiers refusent une telle mésalliance.
En octobre 1867, Villiers de L’Isle-Adam devient rédacteur en chef de la Revue des Lettres et des Arts, hebdomadaire que viennent de fonder les frères Thomas et Armand Gouzien. La revue paraît jusqu’en mars 1868 ; Villiers y publie une longue nouvelle, Claire Lenoir, et un conte, L’Intersigne. Parmi les collaborateurs de la revue, on compte Mallarmé, Verlaine, Banville, Mendès et les frères Goncourt. En septembre 1869 naît à Paris Jules Émile Leroy (1869-1911), fils de l’actrice Mathilde Leroy et de père inconnu, peut-être le fils naturel de Villiers[réf. nécessaire].
En janvier 1870, après un échec au théâtre du Gymnase, Alexandre Dumas fils parvient à faire accepter La Révolte de Villiers au Vaudeville, qui n’aura que cinq représentations en mai, et sera publiée chez Lemerre, en juillet. Le même mois, Villiers joue un rôle important lors des manifestations insurrectionnelles qui suivent la mort du journaliste Victor Noir abattu par le prince Pierre-Napoléon Bonaparte.
Villiers, Mendès et sa femme Judith partent en voyage en Suisse et en Allemagne en juin 1869. Ils devaient rendre compte pour les journaux parisiens de l’Exposition universelle des Beaux-Arts à Munich, mais ils étaient partis en fait pour voir les opéras de Richard Wagner et rencontrer le compositeur (ils firent un séjour chez lui, à Triebschen, près de Lucerne, à l’aller, puis au retour). Ils vont ensuite couvrir au théâtre de la Monnaie, à Bruxelles, la représentation en français de Lohengrin en mars 1870, avant de se rendre en juin à Weimar, pour un festival de la musique de Wagner. De là, ils vont à Munich pour voir La Walkyrie et s’arrêtent en juillet à Triebschen. Toutefois, ils doivent rentrer en France, lors du déclenchement des hostilités.
De retour à Paris, après un séjour d’un mois chez Mallarmé, à Avignon, Villiers prend le commandement des éclaireurs du 147e bataillon de la garde nationale. Pendant le siège de la capitale par les Allemands, il vit avec sa famille dans un dénuement complet. Lors du déclenchement de la Commune, il se montre enthousiaste, mais doit bientôt renier ses sympathies communardes. Durant l’été, en effet, il fait des démarches en vue d’être nommé attaché d’ambassade à Londres, qui échouent, ce qui complique la situation financière des Villiers, d’autant que, le 13 août 1871, Mlle de Kérinou, soutien de la famille, meurt ; comme elle avait mis tous ses biens en viager, la situation de la famille devient particulièrement précaire. Pour y remédier, Villiers entre en contact, en 1873, avec Anna Eyre Powell, une riche héritière anglo-saxonne, qui refuse finalement de l’épouser.
En janvier 1874, il propose Morgane au théâtre de la Porte Saint-Martin, puis décide de refondre le drame sous un nouveau titre, Le Prétendant. En juillet 1875, il proteste dans Le Figaro contre le mélodrame Perrinet Leclerc (1832), qu’on vient de reprendre au théâtre du Châtelet, où son ancêtre, le maréchal Jean de Villiers de L’Isle-Adam, apparaît sous un jour peu favorable, avant d’intenter un procès en août, contre Édouard Lockroy, le seul des deux auteurs qui soit encore en vie. Le 1er août 1877, il est débouté de son procès et renonce à faire appel. Cependant, il apprend qu’un certain Georges de Villiers de L’Isle-Adam l’accuse d’usurper son nom ; il manque de le provoquer en duel quand il découvre que Louis XVIII, croyant à tort la branche des Villiers de L’Isle-Adam éteinte, avait autorisé un Villiers des Champs à « relever » le nom en 1815.
Pendant quelques semaines, au printemps 1879, paraît La Croix et l’Épée, un hebdomadaire légitimiste où Villiers joue un rôle important. Son drame Le Nouveau Monde paraît en librairie, chez Richard à Paris, au début de 1880, et son roman L’Ève future, auquel il travaille depuis 1877, est publié en feuilletons dans Le Gaulois en septembre. Mais, l’œuvre ne plaisant pas aux abonnées, le journal en interrompt bientôt la parution, et elle passe à L’Étoile française, un journal républicain, en décembre. Il en interrompt lui-même la publication juste avant la fin en février 1881.
Le 10 janvier 1881, Villiers est candidat légitimiste dans le XVIIe arrondissement aux élections pour le conseil municipal, mais il est battu avec 593 voix contre 2 147 voix au radical Severiano de Heredia et 112 voix au collectiviste Couturat. Le lendemain naît à Paris Victor-Philippe-Auguste, fils naturel de Villiers et de Marie Brégeras, née Dantine, veuve illettrée d’un cocher belge. Désormais, Villiers vit avec elle et éloigne ses projets de mariage. Le 12 avril 1882, la mère de Villiers meurt.
Le 9 février 1883 paraît le recueil Contes cruels, chez Calmann-Lévy. Dix jours après, au théâtre des Nations est créé Le Nouveau Monde, que le comte d’Osmoy, homme politique et écrivain, et le libraire Lalouette ont financé. Mais la pièce n’a finalement aucun succès, et doit être retirée au bout de dix-sept représentations. Cependant, Villiers collabore au Figaro à partir d’avril, puis à Gil Blas en août 1884. À cette époque, il se lie avec Léon Bloy et Joris-Karl Huysmans, qui publie À rebours, où Villiers apparaît comme l’un des auteurs préférés du héros, des Esseintes. Du 18 juillet 1885 au 2 mars 1886, La Vie moderne publie en feuilleton la version complète de L’Ève future, tandis que La Jeune France fait paraître en deux parties, en novembre 1885 et en juin 1886, la première publication complète d’Axël. Le 1er décembre 1885, le père de Villiers meurt à son tour, dans la misère. Enfin, L’Ève future est publiée en volume, à Paris, par Maurice de Brunhoff en mai 1886. De même, en mai 1887, la maison Tresse et Stock fait paraître le recueil Tribulat Bonhomet, qui comprend une version remaniée de Claire Lenoir. Puis, ce sont les Histoires insolites qui paraissent à la Librairie moderne en février 1888 et les Nouveaux Contes cruels à la Librairie illustrée en novembre.
Atteint d’un cancer des voies digestives lors de l’hiver 1888-1889, Villiers ne peut plus travailler, et Mallarmé doit ouvrir une « cotisation amicale » parmi ses amis pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Le 12 juillet 1889, il est transféré à la clinique des Frères Saint-Jean-de-Dieu, rue Oudinot, à Paris. Se sentant à l’article de la mort, il rédige, le 12 août, un testament où il reconnaît son fils Victor et épouse in extremis Marie Dantine, le 14 août, afin de légitimer son fils. À noter que, juste avant de mourir, il aurait eu ces derniers mots passés à la postérité : « Eh bien, je m’en souviendrai de cette planète ! »[réf. nécessaire]. Mort le 18 août, il est inhumé au cimetière des Batignolles le 21 août. Plus tard, ses restes sont transférés au cimetière du Père-Lachaise (79e division), avec ceux de son fils, mort en 1901. En 1890, Axël paraît chez Quantin et Chez les passants, recueil de chroniques et de contes, au comptoir d’Édition.
Un écrivain qui a inspiré le symbolisme
Cet auteur a joué un grand rôle dans la naissance du symbolisme français ; grand admirateur de Poe et de Baudelaire, passionné de Wagner et grand ami de Mallarmé, cet aristocrate monarchiste est en fait résolument moderne en esthétique. Familier de l’irréel, il part de postulats étranges, hors de toute réalité. Idéaliste impénitent, le rêve seul l’enchante et l’exalte, non sans s’accompagner d’une ironie sombre qui reste sa marque. Comme peut-être aucun autre écrivain, il a su allier « les deux modes en secret correspondants du rêve et du rire » (Mallarmé). Cette conception du rêve (et une grande part de sa philosophie), il la tient de ses connaissances de l’Œuvre d’Edgar Poe. En effet, celui-ci prônait la rêverie et le rêve pour retrouver un passé bienheureux, celui d’avant la captivité de son « moi » dans un monde quotidien perverti. Par le rêve, Poe pensait pouvoir retrouver un état d’intégrité et de liberté intuitives.
Ses œuvres les plus connues aujourd’hui sont ses Contes cruels (1883), et L’Ève future, un court roman, écrit en 1886, où l’ingénieur Edison invente une femme artificielle censée racheter l’Ève déchue. C’est d’ailleurs dans cet ouvrage fondateur pour la science-fiction que Villiers utilise le mot « Andréide » (du grec andr- humain et -eides espèce / à l’image de) pour désigner une créature artificielle conçue comme la réplique d’un être humain, donnant ainsi son sens moderne à un terme qui désignait autrefois les automates.
On n’omettra pas non plus Tribulat Bonhomet, du nom du sinistre docteur positiviste, et Tueur de cygnes.
Axël, son œuvre testament, a été « la bible du théâtre symboliste » (Dorothy Knowles).
Anatole France a dit de lui :
« Si ce dormeur éveillé a emporté avec lui le secret de ses plus beaux rêves, s’il n’a pas dit tout ce qu’il avait vu dans ce songe qui fut sa vie, du moins il a laissé assez de pages pour nous donner une idée de l’originale richesse de son imagination. Il faut le dire, à la confusion de ceux qui l’ignoraient tant qu’il a vécu : Villiers est un écrivain, et du plus grand style. Il a le nombre et l’image. Quand il n’embarrasse pas ses phrases d’incidences aux intentions trop profondes, quand il ne prolonge pas trop les ironies sourdes, quand il renonce au plaisir de s’étonner lui-même, c’est un prosateur magnifique, plein d’harmonie et d’éclat. »
Une généalogie problématique
Selon sa généalogie, Villiers de L’Isle-Adam appartient à l’ancienne et illustre famille des Villiers, seigneurs de l’Isle-Adam : toutefois, cette généalogie présente des trous qui, de son vivant déjà, ont provoqué des doutes, renforcés en 1928 par un article de Max Prinet paru au Mercure de France. D’après lui, il descend d’une famille de la noblesse de robe parisienne et son premier ancêtre certain est un Jean de Villiers, procureur des comptes au début du xviie siècle. Un autre Jean de Villiers, petit-fils du précédent, s’établit en Bretagne et devient le premier à ajouter à son nom le nom de la terre de « L’Isle-Adam » et à prétendre ainsi à une parenté imaginaire avec les seigneurs de L’Isle-Adam.
Villiers était « un inquiétant mythomane. Il revendiqua le trône de Grèce, poursuivit des critiques pour diffamation, se prétendit Prince du Saint-Empire Romain, unique héritier du grand maître de Rhodes fondateur de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, Grand d’Espagne depuis Charles Quint, 22 fois comte ».
Œuvres
Œuvres complètes, édition établie par Alan Raitt et Pierre-Georges Castex, avec la coll. de Jean-Marie Bellefroid, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2 tomes, 1986.
Contes et romans
Isis (récit), 1862
Contes cruels (recueil de contes, récits et nouvelles, 1883), notamment Véra (1874)
L’Ève future (roman), 1886
L’Amour suprême (recueil de contes), 1886
Tribulat Bonhomet (recueil de contes), 1887
Nouveaux contes cruels (recueil de contes), 1888
Histoires insolites (recueil de contes), 1888
Chez les passants (recueil posthume de fantaisies, pamphlets et souvenirs), 1890
Propos d’Au-delà (recueil posthume de textes), 1893
Reliques (recueil posthume de textes), 1954
Nouvelles Reliques (recueil posthume de textes), 1968
Théâtre
Elën, 1865
Morgane, 1866
La Révolte, 1870
Le Nouveau Monde, 1880
Axël, 1890, posthume
L’Évasion, 1890, posthume
Le Prétendant (version définitive de Morgane), 1965, posthume
Poésie
Deux essais de poésie, 1858
Premières poésies, 1859