Je crains pas ça tellment
Je crains pas ça tellment la mort de mes entrailles et la mort de mon nez et celle de mes os
Je crains pas ça tellement moi cette moustiquaille qu’on baptisa
Raymond d’un père dit
Queneau
Je crains pas ça tellment où va la bouquinaille les quais les cabinets la poussière et l’ennui
Je crains pas ça tellement moi qui tant écrivaille et distille la mort en quelques poésies
Je crains pas ça tellment
La nuit se coule douce entre les bords teigneux des paupières des morts
Elle est douce la nuit caresse d’une rousse le miel des méridiens des pôles sud et nord
Je crains pas cette nuit
Je crains pas le sommeil
absolu Ça doit être aussi lourd que le plomb
aussi sec que la lave aussi noir que le ciel
aussi sourd qu’un mendiant bêlant au coin d’un pont
Je crains bien le malheur le deuil et la souffrance et l’angoisse et la guigne et l’excès de l’absence
Je crains l’abîme obèse où gît la maladie et le temps et l’espace et les torts de l’esprit
Mais je crains pas tellment ce lugubre imbécile qui viendra me cueillir au bout de son curdent lorsque vaincu j’aurai d’un œil vague et placide cédé tout mon courage aux rongeurs du présent
Un jour je chanterai
Ulysse ou bien
Achille
Enée ou bien
Didon
Quichotte ou bien
Pança
Un jour je chanterai le bonheur des tranquilles les plaisirs de la pêche ou la paix des villas
Aujourd’hui bien lassé par l’heure qui s’enroule tournant comme un bourrin tout autour du cadran permettez mille excuz à ce crâne — une boule — de susurrer plaintif la chanson du néant