Pèlerinages

René-François Sully Prudhomme
par René-François Sully Prudhomme
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En souvenir je m’aventure
Vers les jours passés où j’aimais,
Pour visiter la sépulture
Des rêves que mon coeur a faits.

Cependant qu’on vieillit sans cesse,
Les amours ont toujours vingt ans,
Jeunes de la fixe jeunesse
Des enfants qu’on pleure longtemps.

Je soulève un peu les paupières
De ces chers et douloureux morts ;
Leurs yeux sont froids comme des pierres
Avec des regards toujours forts.

Leur grâce m’attire et m’oppresse ;
En dépit des ans révolus
Je leur ai gardé ma tendresse ;
Ils ne me reconnaîtraient plus :

J’ai changé d’âme et de visage ;
Ils redoutent l’adieu moqueur
Que font les hommes de mon âge
Aux premiers rêves de leur coeur,

Et moi, plein de pitié, j’hésite,
J’ai peur qu’en se posant sur eux
Mon baiser ne les ressuscite :
Ils ont été trop malheureux.

Les vaines tendresses

René-François Sully Prudhomme

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