10 juin 1936
Au détour du chemin,
Il étendit la main,
Devant le beau matin.
Le ciel était si clair
Que les nuages dans l’air
Ressemblaient à l’écume de la mer.
Et la fleur des pommiers
Blanchissait dans les prés
Où séchait le linge lavé.
La source qui chantait,
Chantait la vie qui passait
Au long des prés, au long des haies.
Et la forêt à l’horizon,
Où verdissait le gazon,
Comme une cloche était pleine de sons.
La vie était si belle,
Elle entrait si bien dans ses prunelles
Dans son cœur et dans ses oreilles,
Qu’il éclata de rire :
Il rit au monde et aux soupirs
Du vent dans les arbres en fleur.
Il rit à l’odeur de la terre,
Il rit au linge des lavandières,
Il rit aux nuages passant dans l’air.
Comme il riait en haut de la colline,
Parut la fille de belle mine
Qui venait de la maison voisine.
Et la fille rit aussi
Et quand son rire s’évanouit
Les oiseaux chantaient à nouveau.
Elle rit de le voir rire
Et les colombes qui se mirent
Dans le bassin aux calmes eaux
Écoutèrent son rire
Dans l’air s’évanouir.
Jamais plus ils ne se revirent.
Elle passa souvent sur le chemin
Où l’homme tendit la main
À la lumière du matin.
Maintes fois il se souvint d’elle
Et sa mémoire trop fidèle
Se réflétait dans ses prunelles.
Maintes fois elle se souvint de lui
Et dans l’eau profonde du puits
C’est son visage qu’elle revit.
Les ans passèrent un à un
En palissant comme au matin
Les cartes qu’un joueur tient dans sa main.
Tous deux pourrissent dans la terre,
Mordus par les vers sincères.
La terre emplit leur bouche pour les faire taire.
Peut-être s’appelleraient-ils dans la nuit,
Si la mort n’avait horreur du bruit :
Le chemin reste et le temps fuit.
Mais chaque jour le beau matin
Comme un œuf tombe dans la main
Du passant sur le chemin.
Chaque jour le ciel est si clair
Que les nuages dans l’air
Sont comme l’écume sur la mer.
Morts ! Épaves sombrées dans la terre,
Nous ignorons vos misères
Chantées par les solitaires.
Nous nageons, nous vivons,
Dans l’air pur de chaque saison.
La vie est belle et l’air est bon.