Si belles soyez-vous

Robert Desnos
par Robert Desnos
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Si belles soyez-vous

Avec vos yeux de lacs et de lacs et de flammes

avec vos yeux de piège à loup

avec vos yeux couleur de nuit de jour d’aube et de marjolaine
Si belles soyez-vous

avec vos dents acérées et mordant ferme et jusqu’au sang

avec vos dents de mer profonde et étincelantes

avec vos dents avec vos dents blanches
Si belles soyez-vous

avec vos lèvres à baisers toujours prêts

avec vos lèvres de silence et de tumulte et douceur et cruauté

avec vos lèvres trop habiles et parfois trop pressées
Si belles soyez-vous

avec vos seins de blessures et d’éphémère perfection

avec vos seins de consolation

avec vos seins qu’on tient entre les mains comme un fruit
Si belles soyez-vous

avec vos cheveux et votre ventre

avec votre ventre élastique et rond

avec vos cheveux drus et sentant fort votre parfum naturel
Si belles soyez-vous

avec vos reins avec vos fesses froides

avec vos omoplates faciles à griffer

avec votre cou dont on ferait si bon marché
Si belles soyez-vous

avec votre sexe savoureux et autonome

avec votre sexe admirable

avec votre sexe fantasque comme vous et sanglant comme votre cœur
Si belles soyez-vous

Je ne vous aimerai pas

Si belles soyez-vous…
Je me révolte enfin contre tant de servitude

J’ai aimé la plus belle et quand elle fut morte

Une plus belle encore qui lui ressemblait comme une sœur

Je brise mes liens

Je tends mes regards vers la lumière de ce matin

à l’aube au moment de dormir

quand s’ouvrent de nouveau les anciennes blessures

quand ça gueule d’absence et de solitude
Et voilà que le matin me semble doux

matin familier matin calme malgré pluie et bourrasque

matin de bon bain et de cœur neuf
Mon nouveau cœur est plus dur que le fer

et moins cruel que votre cœur tendre

je n’aimerai je ne veux plus aimer
Claquez comme de grands drapeaux déchiquetés

vautours abrutis de blizzards et de simoun

éparpillez-vous dans les tempêtes

oiseaux de charogne oiseaux oiseaux d’amour
Et qu’importe quand bien même j’aimerais

il ne saurait être question que de la même

et quand bien même je l’aimerais encore

qu’il n’en soit plus question
Cuirassé par cet amour brûlant comme un appareil de torture

protégé par lui

plus question de vous les autres

les déserts nous sépareront

les étoiles aussi

je sais d’où viennent les unes

où s’enfoncent les autres
Je sais quelle réponse il faut faire

aux paroles admirables que vous prononcez

et qu’elle prononce

entre minuit et trois heures du matin
Son cœur était plus vierge que les forêts de loin d’ici

Robert Desnos

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