Thomas l’imposteur
Pamphlet collectif contre André Breton, 1930
Les hommes de l’avenir, si le cœur leur dit encore de faire tourner les tables, verront parfois se dresser, hors des reliefs de gâteaux, de sauces figées et de viandes faisandées, un fantôme visqueux qui dira :
Je puis vous dire honnêtement, aujourd’hui, de m’écouter.
Jadis j’ai menti, j’ai trompé mes amis, j’ai escroqué au sentiment, j’ai pratiqué le vol à l’esbroufe de l’affection et de l’estime.
Vous avez déjà deviné que j’étais André Breton.
Je me suis repu de la viande des cadavres : Vaché, Rigaut et Nadja que je disais aimer. Crevel, sur la mort de qui je comptais bien pour me servir, m’a enterré de ses propres mains et a fienté, avec justice et tranquillité, sur ma charogne et ma mémoire.
Je haïssais la pédérastie car je n’étais qu’un gros truqueur.
Je me croyais Dieu.
En attendant de composer mon propre credo je dressais une nouvelle idole, celle de Lautréamont !
Mais il me foudroya lui-même et les jeunes hommes, révoltés contre la divinité, le remirent au noble rang des hommes et me fessèrent honteusement.
Je devenais gâteux. J’écrivais des phrases imbéciles comme celle-ci :
« Depuis lors Desnos grandement desservi dans ce domaine par les puissances mêmes qui l’avaient quelque temps soulevé et dont il paraît ignorer encore qu’elles étaient les puissances de ténèbres s’avisa malheureusement d’agir sur le plan réel où il n’était qu’un homme plus seul et plus pauvre qu’un autre comme ceux qui ont vu, je dis : vu ce que les autres craignent de voir et qui, plutôt qu’à vivre ce qui est sont condamnés à vivre ce qui « fut » et ce qui « sera ». »
Au comble de la vanité, j’en arrivai à cracher sur le fantôme d’Edgar Poe sous un prétexte inventé.
Ce crachat retomba sur ma figure sous forme de pluie de feu. Je l’avais qualifié de policier et le policier c’était moi.
Je simulai tout : l’amour, la poésie, le goût de la révolution…
Je dispensais ma propre pourriture et mon meilleur ami, mon semblable, mon frère, j’ai dit Jean Cocteau, m’aidait à tout châtrer, à tout entraver, à tout stériliser. Je fis mine de me consacrer à l’occultisme : ce fut une belle rigolade chez les puissances de Ténèbres.
C’est pour cela que mon fantôme assume l’apparence d’un clown.
J’eus un ami sincère : Robert Desnos. Je le trompai. Je lui mentis, je lui donnai faussement ma parole d’honneur.
Fort de ma crapulerie j’eus l’audace de lui demander pardon. Car j’étais un jésuite de première force. Mais tant d’impudence me perdit et ce sincère mais orgueilleux ami m’abandonna et démasqua mon âme de limace.
Je vivais grassement cependant. La vente des tableaux alimentait l’écuelle à chien dans laquelle je prenais mes repas.
Voilà ce que dira le fantôme puant d’André Breton.
Et la dernière vanité de ce fantôme sera de puer éternellement parmi les puanteurs du paradis promis à la prochaine et sûre conversion du faisan André Breton.
Écrit à Paris avec la joie certaine d’accomplir une tâche indispensable.