Triste penser, en prison trop obscure
Triste penser, en prison trop obscure,
L’honneur, le soin, le devoir et la cure
Que je soutiens des malheureux soudards,
Devant mes yeux desquels j’ai la figure,
Qui par raison et aussi par nature
Devaient mourir entre piques et dards,
Plutôt que voir fuir leurs étendards,
Quand de te voir j’ai perdu l’espérance.
Me font perdre de raison l’attrempance*.
Toujours Amour par fermeté procure
Qu’à désespoir point ne fasse ouverture ;
Mais tous malheurs viennent de tant de parts
Qu’ils me rendent indigne créature,
Tant que d’erreur à mon chef fais ceinture.
Ces yeux baignés vers toi font les regards,
Ne faisant plus contre ennui les remparts ;
Si n’est avoir ton nom en révérence,
Quand de te voir j’ai perdu l’espérance.
Mais je ne sais pourquoi tourna l’augure
En mal sur moi : car ma progéniture
Eut tant de bien, qu’en tous lieux fut épars.
Plaisir pour deuil était lors leur vêture ;
Plaisante et douce y semblait nourriture
De leurs sujets gardant brebis ès parcs,
Toujours battirent lions et léopards ;
Mais j’ai grand’peur n’avoir tel heur en France,
Quand de te voir j’ai perdu l’espérance.
Oh ! grande Amour, éternel, sans rompture**,
Dont l’infini est juste la mesure,
Dismoi, perdraije à jamais ta présence ?
Donc, brief verras sur moi la sépulture :
L’esprit à toi, pour le corps pourriture,
Quand de te voir j’ai perdu l’espérance.
(*) modération
(**) rupture