Quand je serai guérie
Filliou*, quand je serai guérie,
Je ne veux voir que des choses très belles…
De somptueuses fleurs, toujours fleuries ;
Des paysages qui toujours se renouvellent,
Des couchers de soleil miraculeux, des villes
Pleines de palais blancs, de ponts, de campaniles
Et de lumières scintillantes… Des visages
Très beaux, très gais ; des danses
Comme dans ces ballets auxquels je pense,
Interprétés par Jean Borlin. Je veux des plages
Au décor de féerie,
Avec des étrangers sportifs aux noms de princes,
Des étrangères en souliers de pierreries
Et de splendides chiens neigeux aux jambes minces.
Je veux, frôlés de Rolls silencieuses,
De longs trottoirs de velours blond. Terrasses,
Orchestres bourdonnant de musiques heureuses…
Voistu, Filliou, le Carnaval qui passe ?
La Riviera débordante de roses ?
J’ai besoin de ne voir un instant que ces choses
Quand je serai guérie !
J’aurai ce châle aux éclatantes broderies
Qui fait songer aux courses espagnoles,
Des cheveux courts en auréole
Comme Maë Murray, des yeux qui rient,
Un teint de cuivre et l’air, non pas d’être guérie,
Mais de n’avoir jamais connu de maladie !
J’aurai tous les parfums, ‘ les plus rares qui soient ‘,
Une chambre moderne aux nuances hardies,
Une piscine rouge et des coussins de soie
Un peu cubistes. J’ai besoin de fantaisie…
J’ai besoin de sorbets et de liqueurs glacées,
De fruits craquants, de raisins doux, d’amandes fraîches.
Peutêtre d’ambroisie…
Ou simplement de mordre au coeur neuf d’une pêche ?
J’ai besoin d’oublier tant de sombres pensées,
Tant de bols de tisane et d’heures accablantes !
Il me faudra, voistu, des choses si vivantes
Et si belles, Filliou… si belles ou si gaies !
Nul ne sait à quel point nous sommes fatiguées,
Toutes deux, de ce gris de la tapisserie,
De l’armoire immobile et de ces noires baies
Que le laurier nous tend derrière la fenêtre.
Tant de voyages, dis, de pays à connaître,
De choses qu’on rêvait, qui pourront être
Quand je serai guérie…
(*) petit nom que l’auteur donnait à sa mère
Douleur, je vous déteste