À Auguste Brizeux
Poète, il est fini l’âpre temps des épreuves.
Quitte nos solitudes veuves,
Et dors, libre et pensif, bercé par tes grands fleuves !
Au milieu des brumes d’Arvor
Repose ! Ta chanson va retentir encor
Sur la lande où sont les fleurs d’or.
Heureux qui resta pur en ces âges profanes !
Longtemps les jeunes paysannes
Répéteront tes vers, de Tréguier jusqu’à Vannes !
Ton poème, génie ailé,
Volera sur le Scorf et sur le doux Ellé,
Aux voix de leurs brises mêlé.
Oui, le repos est bon à l’homme qui travaille !
Calme au sortir de la bataille,
Dors, Celte aux cheveux blonds, honneur de la Cornouaille.
Je n’étais qu’un enfant joyeux
Lorsque tu vins, armé de l’arc mystérieux :
Alors je te suivis des yeux.
Et, tel que les héros à la belle chaussure,
Toi, tu lançais d’une main sûre
Les traits dont l’univers adore la blessure.
Savant artiste, comme moi
Tu chéris l’harmonie et son étroite loi :
Elle eut les trésors de ta foi.
Ô prodige inouï ! magnifique mystère !
Malgré ses liens, l’Ode austère
S’envole, et ses pieds blancs ne touchent pas la terre.
Qu’un esprit saturé de fiel
Boive à sa coupe, où brille un vin substantiel,
Elle l’emporte au fond du ciel.
En vain ses préjugés aiguillonnaient ses haines.
C’en est fait, il n’a plus de chaînes :
Tu le sais, fils béni de la mer et des chênes !
Ô Brizeux, nous pouvons mourir
Seuls, avant d’avoir vu les roses refleurir !
Mourons sans pousser un soupir.
Amoureux du vrai bien, notre lyre sonore
Saluait le feu qui colore
Au lointain rougissant la merveilleuse aurore.
Nous avons frappé le vautour
Qui se gorgeait de sang dans les cœurs pleins d’amour ;
Nous avons crié : C’est le jour !
Eh bien, que le vulgaire en ses funèbres fêtes
Accoure aux grandeurs qu’il a faites !
Le bruit et la louange aiment les faux prophètes.
Nous, contents d’avoir mérité
Qu’elle n’ait pas pour nous un regard irrité,
Suivons la sainte Vérité !
Quand se déchirera sur le temple d’ivoire
La nuée orageuse et noire,
Elle se chargera d’éclairer notre gloire ;
Et, beaux de la haine du Mal,
Elle nous donnera son reflet triomphal
Sur le seuil du ciel idéal !
Mais, hélas ! tant d’amis perdus à la même heure !
Permets une fois que je pleure,
Muse ! car le silence envahit ta demeure.
Ce prince parmi tes amants,
Le grand Heine périt au milieu des tourments,
Les mains pleines de diamants.
Ô Déesse ! il tomba sous le laurier insigne.
Puis l’Ange implacable désigne
Musset pâle et sanglant, qui s’éteint comme un cygne.
Ô cher et sage paresseux !
Et tous deux pleins de jours ! Et voici qu’après eux
La tourmente emporte Brizeux !
Laisse-moi, laisse-moi le pleurer ! la nature
Allait bien à cette âme pure
Qui rêve maintenant sous une dalle obscure !
Gémissez, fleuves qu’il chanta,
Terre dont la mamelle auguste l’allaita,
Izol, et toi, riant Létâ !
Oiseaux, feuillages, mer à la voix de tonnerre,
Qui jettes un cri funéraire,
Enchantez son sommeil : il était votre frère !
Près de vous, au jour redouté,
Il se réveillera pour l’immortalité,
Brillant d’orgueil et de beauté.
Bellevue, juin 1858.