A Auguste Vacquerie
Ami, voici que ton poëme,
Comme un oiseau baigné de jour,
Vole, éperdu, vers le ciel même,
En poussant de grands cris d’amour.
Armé de ta vertu première,
Tu réclames, pour les maudits,
Leur part de pain et de lumière
Et le soleil des paradis.
Il est temps de chasser la haine!
Sur le monde ressuscité
La fille de Faust et d’Hélène
Jette son regard enchanté.
Futura, dans son attitude,
Victorieuse du tombeau,
C’est la vie et la certitude,
C’est la sérénité du Beau.
Caressé par cette faunesse,
O poëte, je t’ai connu
A l’âge heureux où la jeunesse
Nous prête son rire ingénu.
Et, combattant déjà robuste,
Pour le pauvre, à tort châtié,
Tu sentais dans ton âme juste
Une inconsolable pitié.
Tu disais: Le fou dérisoire
Marche comme un aveugle errant
Qui titube dans la nuit noire.
Pourquoi punir cet ignorant?
Verse-lui plutôt l’ambroisie.
Qu’il savoure, comme un doux vin,
La lecture et la poésie,
Ce breuvage vraiment divin.
Tu voulais que le sort morose
Lâchât sa proie, et maintenant,
Tu veux encor la même chose,
En ton poëme rayonnant.
Et dans ton rêve prophétique
Tu montres, vainqueur à son tour,
Le Titan de la guerre antique,
Délivré du hideux vautour.
Futura, bonne et charitable
Ne rompra, de ses belles mains,
Le pain du festin, qu’à la table
Où s’assoiront tous les humains.
Et dans une tranquille gloire
Apaisant ses yeux radieux,
Elle fera manger et boire
Tous les maudits et tous les Dieux.
Mais avant qu’elle se décide,
Vierge vengeresse, il lui faut
Tuer le combat fratricide
Et briser le vil échafaud.
Un jour, un jour, espoir sublime!
Le glaive de flamme tuera
L’aveugle colère et le crime;
Et, pour adorer Futura,
Sur la terre, où la moisson mûre
S’offre à l’oiseau pour se poser,
On n’entendra que le murmure
Ailé, d’un immense baiser.
Ce sera la tranquille fête
De l’avenir victorieux,
Et tu la vois déjà, poëte,
Avec tes yeux mystérieux.
15 avril 1890.