À Charles Asselineau

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Vainement tu lui fais affront,

Votre brouille m’amuse,

Car je reconnais sur ton front

Le baiser de la Muse.
Tout est fini, si tu le veux ;

Mais que le vent les bouge,

Vite on le voit sous tes cheveux,

La place est encor rouge.
Tu fuis le bois des lauriers verts

Et la troupe des cygnes,

Et, pour mieux laisser l’art des vers

A des chanteurs plus dignes,
Tu ne t’égares plus jamais

Sous la lune blafarde.

La modestie est bonne, mais

Cette fois prends-y garde !
Par ces scrupules obligeants,

Trop souvent on condamne

La fée amoureuse à des gens

Coiffés de têtes d’âne.
Firdusi ne vit plus à Thus !

Toutes les nuits un ange

Vient baiser les fleurs de lotus

Aux bords sacrés du Gange ;
L’hyacinthe frissonne encor

Dans les clairières lisses ;

Toujours, faisant du soleil d’or

Les plus chères délices,
La rose à sa douce senteur

Enivre Polymnie,

Mais je connais plus d’un auteur

Qui n’a pas de génie !
Viens ! ne laisse pas galamment

Notre gentille escrime

Aux sots, privés également

De raison et de rime.
Au moins, reprends notre lien

Pour une année entière !

Et d’ailleurs, ami, tu peux bien

Chez le vieux Furetière
Errer comme en un Sahara ;

Acheter et revendre

Des bouquins ; Érato saura

Toujours où te reprendre !
Au mois où s’ouvrent les boutons,

Tous ceux qui l’ont aimée

Reviennent comme des moutons

Sur sa trace charmée.
Or, justement, pris à l’attrait

De mes rimes prolixes,

J’entends errer dans la forêt

Les elfes et les nixes ;
Et, dans le parc où nous songeons,

La sève, dont la force

Croît, gonfle déjà les bourgeons

Prêts à rompre l’écorce.
Mai 1855.

Théodore de Banville

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