À Gavarni
La Beauté, fatal aimant,
Est pareille au diamant
Que la fange peut mouiller
Sans le souiller.
Jusqu’au milieu du ruisseau,
L’éclat pur de son berceau
Garde un charme essentiel
Qui vient du ciel.
Ainsi, leurs cheveux au vent,
Vois ces folles qui souvent
Bercent le premier venu
Sur leur bras nu.
Ces filles aux teints flétris,
Qui dévisagent Paris
Avec leur regard moqueur,
N’ont plus de cœur.
Leur sein insensible et froid
Que mord le corset étroit,
N’a jamais pendant un jour
Tremblé d’amour.
Idoles ivres d’encens,
Dont rien n’éveille les sens,
Elle n’ont jamais pleuré
Ni soupiré.
Plus pâles que nos Ennuis,
Ces spectres des folles nuits
Ne mentent même pas bien,
Et n’aiment rien.
Rien ! ni l’orgie et le bal
Qui se tord en carnaval
Sous les clairons furieux,
La flamme aux yeux,
Ni le Vin, or ruisselant,
Ame du raisin sanglant
Qui met ses riches manteaux
Sur nos coteaux,
Ni la colère du Jeu,
Qui rend puissants comme un dieu
Les combattants éblouis
De ses louis,
Ni cette perle des mers
Arrachée aux flots amers,
Ni Golconde et son trésor,
Ni même l’Or !
Car l’Or sur notre chemin,
C’est l’Art sacré dont la main
Embellit les horizons
De nos prisons ;
C’est la sereine fierté,
C’est un jour de liberté
Sous les ombrages fleuris
Loin de Paris ;
C’est l’Amitié, douce voix,
Qu’on peut encore une fois
Accueillir et mieux choyer
A son foyer.
Mais ce gouffre où tout se perd !
Mais elles ! L’or ne leur sert
Qu’à se parer de chiffons
Pour des bouffons.
Pourquoi donc les chantons-nous,
Cœurs de l’Idéal jaloux,
Qui toujours au ciel obscur
Cherchons l’azur ?
Sur leurs têtes sans douceur
Pourquoi, poëte et penseur,
Fais-tu jaillir un rayon
De ton crayon ?
O philosophe subtil,
Dis-le-moi, que reste-t-il
A leur front désenchanté ?
Quoi ? la Beauté !
La Beauté, miroir secret,
Où l’amour divin paraît
Reflété comme en un ciel
Matériel !
Mai 1855.