À Gavarni

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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La Beauté, fatal aimant,

Est pareille au diamant

Que la fange peut mouiller

Sans le souiller.
Jusqu’au milieu du ruisseau,

L’éclat pur de son berceau

Garde un charme essentiel

Qui vient du ciel.
Ainsi, leurs cheveux au vent,

Vois ces folles qui souvent

Bercent le premier venu

Sur leur bras nu.
Ces filles aux teints flétris,

Qui dévisagent Paris

Avec leur regard moqueur,

N’ont plus de cœur.
Leur sein insensible et froid

Que mord le corset étroit,

N’a jamais pendant un jour

Tremblé d’amour.
Idoles ivres d’encens,

Dont rien n’éveille les sens,

Elle n’ont jamais pleuré

Ni soupiré.
Plus pâles que nos Ennuis,

Ces spectres des folles nuits

Ne mentent même pas bien,

Et n’aiment rien.
Rien ! ni l’orgie et le bal

Qui se tord en carnaval

Sous les clairons furieux,

La flamme aux yeux,
Ni le Vin, or ruisselant,

Ame du raisin sanglant

Qui met ses riches manteaux

Sur nos coteaux,
Ni la colère du Jeu,

Qui rend puissants comme un dieu

Les combattants éblouis

De ses louis,
Ni cette perle des mers

Arrachée aux flots amers,

Ni Golconde et son trésor,

Ni même l’Or !
Car l’Or sur notre chemin,

C’est l’Art sacré dont la main

Embellit les horizons

De nos prisons ;
C’est la sereine fierté,

C’est un jour de liberté

Sous les ombrages fleuris

Loin de Paris ;
C’est l’Amitié, douce voix,

Qu’on peut encore une fois

Accueillir et mieux choyer

A son foyer.
Mais ce gouffre où tout se perd !

Mais elles ! L’or ne leur sert

Qu’à se parer de chiffons

Pour des bouffons.
Pourquoi donc les chantons-nous,

Cœurs de l’Idéal jaloux,

Qui toujours au ciel obscur

Cherchons l’azur ?
Sur leurs têtes sans douceur

Pourquoi, poëte et penseur,

Fais-tu jaillir un rayon

De ton crayon ?
O philosophe subtil,

Dis-le-moi, que reste-t-il

A leur front désenchanté ?

Quoi ? la Beauté !
La Beauté, miroir secret,

Où l’amour divin paraît

Reflété comme en un ciel

Matériel !
Mai 1855.

Théodore de Banville

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