A Gil Blas

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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pour l’anniversaire de sa naissance
Souris! parle! invente! joue!

Donc, en dépit des: hélas!

Ayant des fleurs sur ta joue,

Tu grandis, petit Gil Blas!
Et te voilà, dans ce siècle

De Judic et de Renan,

Bien moins vieux que sainte Thècle,

Mais, en somme, âge d’un an!
Et ta chevelure pousse,

Proie offerte à Dalila.

Un an, Gil Blas, et le pouce…

Mais c’est un âge, cela!
Ton sang de pourpre circule

Dans tes membres souverains,

Et, comme un petit Hercule,

Déjà tu cambres tes reins.
Ainsi qu’un dieu te l’accorde,

Tu tends, mime éblouissant,

Ton bel arc, où sur la corde

S’ajuste un trait frémissant;
Et déjà tes yeux dociles

Au regard doux et moqueur

Ont visé les imbéciles

Pour les frapper en plein coeur!
Oh! parmi ces bons apôtres,

Viens fondre comme un gerfaut!

Sois mauvais comme les autres

Et méchant quand il le faut!
Va! fouaille mainte pécore!

Mais, clown aux grelots d’argent,

Sache bien qu’il est encore

Plus malin d’être indulgent!
Car tout charme, vers ou prose,

Lorsque la bonté fleurit

Sur une lèvre de rose,

Dans les flammes de l’esprit.
Oui, l’esprit, l’esprit sans digue,

L’esprit et l’esprit encor:

Jette-le, comme un prodigue

Disperse au vent son trésor!
Que ton coeur exulte ou saigne,

Crois que le bon rituel

Est celui qui nous enseigne

L’art d’être spirituel.
Et surtout garde la joie

Comme un bien très précieux:

Que toujours elle flamboie

Dans ton rire et dans tes yeux!
Tes jours n’ont rien de sévère;

Ils sont bons, savoure-les,

Et remplis ton large verre

A l’outre de Rabelais!
Souviens-toi que La Fontaine,

Admiré des cieux jaloux,

Ne prenait pas de mitaine

Pour causer avec les loups;
Que ton gai caprice vole

Vers les divins enchanteurs,

Et dans leur langue ivre et folle

Cause avec les vieux conteurs!
Il est souvent efficace

Pour un esprit tourmenté

De relire dans Boccace

Un conte bien pimenté;
Marguerite de Navarre,

La chasseresse d’Amours,

Ne se montre point avare

De bons mots et de bons tours;
Les Cent Nouvelles nouvelles

Égrènent leurs diamants,

Et jettent dans les cervelles

Un tas de rêves charmants;
Et le bon seigneur Brantôme,

Sans nulle sévérité,

Déshabille en plus d’un tome

La déesse Vérité.
Ces maîtres en l’art d’écrire,

Gens d’honneur et de vertu,

Sauront t’apprendre à bien rire:

Et pourquoi pleurerais-tu?
Paris, que l’Amour gouverne,

Par les louves allaité,

Est une aimable caverne,

Charmante, hiver comme été.
Et c’est là que se démène,

Agile et faisant son train,

Cette Comédie Humaine

Dont le souffleur est Vautrin!
Tout est gai, tout est comique,

Tout est matière à paris

Dans la savante mimique

De ce singulier Paris.
Il trouve la mode! il l’outre!

Il sait, pour donner le ton,

Vêtir de martre et de loutre

Cidalise et Jeanneton.
Et doucement, comme un pâtre,

Il promène autour du lac

Catinette et Cléopâtre,

Qui mettent les coeurs à sac!
Vois cette bizarre ville

Où maint grec fait sauter l’as

D’une façon fort civile,

Et ris bien, petit Gil Blas!
Là se mêle la gadoue

Avec les perles d’Ophir

Et les beaux cuirs de Cordoue;

Et c’est le même zéphyr
Qui caresse avec délices

Les ors, les tissus anciens,

Effleure les crânes lisses

Des académiciens,
Et qui devinant, plein d’aise,

Plus de trésors que n’en a

Rothschild, effarouche et baise

Les épaules de Nana!
Tandis que son oeil s’allume,

Vois-tu le blême Lousteau

Saisir en hurlant sa plume

Comme on saisit un couteau?
Ève sur don Juan se greffe,

Et sur son coeur, en chemin,

Vois-tu madame Marneffe

Meurtrir tout le genre humain?
Jocrisse, invoquant la fée

Qui remplit d’un doux émoi

Le luth, dit: Je suis Orphée!

Jeannot dit: Balzac, c’est moi!
O l’étrange mascarade!

Pompeux et superbe à voir,

Bobèche fait sa parade

Dans le monde, en habit noir!
L’éclectique Messaline

En courant son guilledou,

Chante sainte Mousseline

Sur un thème de Sardou;
Et plus loin le duc Alphonse,

Ardent comme un léopard,

Dans le bois sombre s’enfonce

Avec madame d’Espard.
La Comédie éternelle

S’agite comme il lui plaît.

Là, voici Polichinelle

Qui met la toque d’Hamlet;
Et voulant se faire mordre,

Un nabab autrichien

Décoré de plus d’un ordre,

Flirte avec Zoé Chien-Chien.
Oh! Gothon, vertu farouche!

Béatrix, l’injure au bec!

Oh! le financier Cartouche!

Le philanthrope Gobseck!
Oh! Séraphita qui fume!

Agnès disant: palsambleu!

Gavroche qui se parfume!

Iris qui boit du vin bleu!
Pierrot qui, l’âme accroupie,

Prend des airs d’Agésilas!

Quelle mine de copie!

Tu peux travailler, Gil Blas!
Va! que ton art se déploie.

Mais ce siècle agonisant

A surtout besoin de joie:

Avant tout, sois amusant!
Garde ta gentille escrime

En dépit des envieux.

Il est bon d’être sublime,

Mais être amusant, c’est mieux.
Sois très bon pour le génie.

Ne le traite pas, hélas!

Ainsi qu’une Iphigénie.

S’il paraît, mon cher Gil Blas,
Montre de l’enthousiasme,

Allume un brillant quinquet!

Notre art est dans le marasme,

Disait jadis Bilboquet;
Mais après tous nos désastres,

Ne sois pas pharisien:

S’il se lève enfin des astres

Dans le ciel parisien;
Si dans notre azur funèbre

Ils s’allument, tout vermeils,

Dis-le bien vite, et célèbre

Ce nouveau tas de Soleils.
C’est en vain que tu soupires!

Ils ont droit à leurs Herschels.

Sois juste pour nos Shaksperes

Et galant pour nos Rachels.
Admire les blanches gammes

De la neige dans un bain;

Sois toujours aimé des femmes,

Comme le fut Chérubin.
Enfin, sur la politique,

Où s’escrime plus d’un chef,

Dis ton mot: qu’il soit caustique

Et malin, rapide et bref!
Cours de surprise en surprise,

Et va, fuyant tout réseau,

Agile comme la brise

Et léger comme l’oiseau!
Décembre 1880.

Théodore de Banville

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