À ma mère, II

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Madame Élisabeth Zélie de Banville
Mère, si peu qu’il soit, l’audacieux rêveur

Qui poursuit sa chimère,

Toute sa poésie, ô céleste faveur !

Appartient à sa mère.
L’artiste, le héros amoureux des dangers

Et des luttes fécondes,

Et ceux qui, se fiant aux navires légers,

S’en vont chercher des mondes,
L’apôtre qui parfois peut comme un séraphin

Épeler dans la nue,

Le savant qui dévoile Isis, et peut enfin

L’entrevoir demi-nue,
Tous ces hommes sacrés, élus mystérieux

Que l’univers écoute,

Ont eu dans le passé d’héroïques aïeux

Qui leur tracent la route.
Mais nous qui pour donner l’impérissable amour

Aux âmes étouffées,

Devons être ingénus comme à leur premier jour

Les antiques Orphées,
Nous qui, sans nous lasser, dans nos cœurs même ouvrant

Comme une source vive,

Devons désaltérer le faible et l’ignorant

Pleins d’une foi naïve,
Nous qui devons garder sur nos fronts éclatants,

Comme de frais dictames,

Le sourire immortel et fleuri du printemps

Et la douceur des femmes,
N’est-ce pas, n’est-ce pas, dis-le, toi qui me vois

Rire aux peines amères,

Que le souffle attendri qui passe dans nos voix

Est celui de nos mères ?
Petits, leurs mains calmaient nos plus vives douleurs,

Patientes et sûres :

Elles nous ont donné des mains comme les leurs

Pour toucher aux blessures.
Notre mère enchantait notre calme sommeil,

Et comme elle, sans trêve,

Quand la foule s’endort dans un espoir vermeil,

Nous enchantons son rêve.
Notre mère berçait d’un refrain triomphant

Notre âme alors si belle,

Et nous, c’est pour bercer l’homme toujours enfant

Que nous chantons comme elle.
Tout poète, ébloui par le but solennel

Pour lequel il conspire,

Est brûlé d’un amour céleste et maternel

Pour tout ce qui respire.
Et ce martyr, qui porte une blessure au flanc

Et qui n’a pas de haines,

Doit cette extase immense à celle dont le sang

Ruisselle dans ses veines.
Ô toi dont les baisers, sublime et pur lien !

À défaut de génie

M’ont donné le désir ineffable du bien,

Ma mère, sois bénie.
Et, puisque celle enfin qui l’a reçu des cieux

Et qui n’est jamais lasse,

Sait encore se faire un joyau précieux

D’un pauvre enfant sans grâce.
Va, tu peux te parer de l’objet de tes soins

Au gré de ton envie,

Car ce peu que je vaux est bien à toi du moins,

Ô moitié de ma vie !
Février 1842.

Théodore de Banville

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