À un ami pour lui réclamer le prix d’un travail littéraire

Mon ami, n’allez pas surtout vous soucier

De la lettre qu’on vous apporte ;

Ce n’est qu’une facture, et c’est un créancier

Qui vient de sonner à la porte.
Parcourant sans repos, dernier des voyageurs,

Les Hélicons et les Permesses,

Pour payer mes wagons, j’ai dû chez les changeurs

Escompter l’or de vos promesses
Vérité sans envers, que l’on nierait en vain,

Car elle est des plus apparentes,

L’artiste ne peut guère, avec son luth divin,

Réaliser assez de rentes.
Ainsi que la marmotte, il se sent mal au doigt

A force de porter sa chaîne :

Toujours il a mangé le matin ce qu’il doit

Toucher la semaine prochaine.
A moins qu’il soit chasseur de dots, et fait au tour,

Dieu sait quelle intrigue il étale

Pour ne pas déjeuner, plus souvent qu’à son tour,

Au restaurant de feu Tantale !
Moi qui n’ai pas les traits de Bacchos, je ne puis

Compter sur ma beauté physique.

Je suis comme la Nymphe auguste dans son puits ;

Je n’ai que ma boîte à musique !
Ainsi, j’ai beau nommer l’Amour  » my dear child « ,

Être un Cyrus en nos escrimes,

Et faire encor pâlir le luxe de Rothschild

Par la richesse de mes rimes,
Je ne saurais avec tous ces vers que paiera

Buloz, s’il survit aux bagarres,

D’avance entretenir des filles d’Opéra,

Ni même acheter des cigares.
Oui, moi que l’univers prendrait pour un richard,

Tant je prodigue les tons roses,

Je suis, pour parler net, semblable à Cabochard,

Je manque de diverses choses.
Le cabaret prétend que Crédit est noyé,

Et, si ce n’est chez les Osages,

Je m’aperçois enfin que l’argent monnoyé

S’applique à différents usages.
Je sais bien que toujours les cygnes aux doux chants,

Près des Lédas archiduchesses,

Ont fait de jolis mots sur les filles des champs

Et sur le mépris des richesses ;
Monsieur Scribe lui-même enseigne qu’un trésor

Cause mille angoisses amères ;

Mais je suis intrépide : envoyez-moi de l’or,

Je n’ai souci que des chimères !

Mars 1856.

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Théodore de Banville Apprenti Poète

Par Théodore de Banville

Etienne Jean Baptiste Claude Théodore Faullain de Banville, né le 14 mars 1823 à Moulins (Allier) et mort le 13 mars 1891 à Paris, est un poète, dramaturge et critique français. Célèbre pour les « Odes funambulesques » et « les Exilés », il est surnommé « le poète du bonheur ».

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J’ay un Livre Thuscan, dont la tranche est garnie

Albertus, LXXII