À Victor Hugo

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Sur ton front brun comme la nuit,

Maître, aucun fil d’argent ne luit,

Et nul Décembre sacrilège,

Ne met sa neige.
Pourtant, dans ton labeur sacré,

Tu te vois déjà vénéré,

Ô génie immense et tranquille,

Comme un Eschyle.
À ta lèvre où passe un rayon

De la charmante Illusion,

La Gloire, innocente comme elle,

Tend sa mamelle.
Tu braves l’oubli meurtrier,

Car l’ombre noire du laurier,

Que rien ne ternit et n’efface,

Est sur ta face.
Près de toi, sous un clair manteau

Veille la chanteuse Érato,

Qui tourmente la sainte Lyre

De son délire ;
Vers Oreste, son louveteau,

Fuyant sous le sombre couteau,

La Tragédie aux yeux de spectre

Conduit Électre,
Et se mirant dans tes yeux clairs

Avec sa foudre et ses éclairs,

La mystérieuse Épopée

Tient son épée.
Ces Muses se penchent vers toi

En te disant : Tu seras roi,

Et leurs yeux baignent de lumière

Ta face altière.
Cependant tu souris au jour !

Le souffle embrasé de l’amour

Caresse encor de sa brûlure

Ta chevelure ;
Ta lèvre, faite pour oser,

N’a pas épuisé le baiser

Délicieux de la jeunesse,

Cette Faunesse,
Et ta joue heureuse, où nul pli

N’a creusé de sillon pâli,

Peut encore à la Piéride

S’offrir sans ride.
Tel celui qu’on divinisa,

Lyaeus, partait de Nysa,

Enfant encor, jeune et superbe,

La joue imberbe,
Pour dompter l’Inde au ciel de feu,

Qui respire le lotus bleu

Et qui prend les poses subtiles

De ses reptiles ;
Et qui près des flots radieux

Caresse et nourrit mille Dieux,

Parmi ses fleurs où l’écarlate

Partout éclate !
Mais toi, Maître aux vœux absolus,

Tu poursuis une amante plus

Charmante qu’elle, une martyre

Qui nous attire ;
C’est la vierge à l’œil irrité,

L’inéluctable Vérité

Qui montre sa blancheur d’étoile

Nue et sans voile.
Captive dans la tour d’airain,

Comme une perle en son écrin,

Mille eunuques hideux la gardent

Et la regardent.
Pour aller jusqu’à sa prison

Qu’on voit au bout de l’horizon,

Il faut franchir des monts, des cimes

Et des abîmes ;
Roi, pour gravir jusqu’à son cœur,

Il faudra terrasser, vainqueur,

Des hydres, des géants colosses,

De noirs molosses ;
Mais elle tend ses blanches mains

Vers toi, qui viens par ses chemins

Et dont l’armure d’or flamboie

Ivre de joie ;
Et toi, Désir âpre et vivant,

Tu ne peux t’arrêter avant

D’avoir sur sa lèvre farouche

Posé ta bouche !

Janvier 1842.

Théodore de Banville

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