Ballade de Banville aux Enfants perdus
Je le sais bien que Cythère est en deuil!
Que son jardin, souffleté par l’orage,
O mes amis, n’est plus qu’un sombre écueil
Agonisant sous le soleil sauvage.
La solitude habite son rivage.
Qu’importe! allons vers les pays fictifs!
Cherchons la plage où nos désirs oisifs
S’abreuveront dans le sacré mystère
Fait pour un choeur d’esprits contemplatifs:
Embarquons-nous pour la belle Cythère.
La grande mer sera notre cercueil;
Nous servirons de proie au noir naufrage,
Le feu du ciel punira notre orgueil
Et l’aquilon nous garde son outrage.
Qu’importe! allons vers le clair paysage!
Malgré la mer jalouse et les récifs,
Venez, partons comme des fugitifs,
Loin de ce monde au souffle délétère.
Nous dont les coeurs sont des ramiers plaintifs,
Embarquons-nous pour la belle Cythère.
Des serpents gris se traînent sur le seuil
Où souriait Cypris, la chère image
Aux tresses d’or, la vierge aux doux accueil!
Mais les amours sur le plus haut cordage
Nous chantent l’hymne adoré du voyage.
Héros cachés dans ces corps maladifs,
Fuyons, partons sur nos légers esquifs,
Vers le divin bocage où la panthère
Pleure d’amour sous les rosiers lascifs:
Embarquons-nous pour la belle Cythère.
Envoi.
Rassasions d’azur nos yeux pensifs!
Oiseaux chanteurs, dans la brise expansifs,
Ne souillons pas nos ailes sur la terre.
Volons, charmés, vers les Dieux primitifs!
Embarquons-nous vers la belle Cythère.
Mai 1861.