Birbe

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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En mon printems, à l’âge en fête

Où l’on fuit gaîment tout salon,

J’avais sur mon front de poëte

Une tignasse d’Absalon.
Fort riche, ayant de l’or en barre,

Embrassant la Rime à tout coup,

On m’eût pris pour un chef barbare

Ou pour une tête de loup.
A présent c’est fini de rire,

Et si j’ai fait un peu de bruit,

Si je trouve aussi de quoi frire,

Me voilà pelé, comme un fruit.
Heureux au gré de mon envie,

Moi qui semblais un damoiseau,

Je fus, par les soins de la Vie,

Plumé, comme on plume un oiseau.
Moi qui savais chanter Achille

Passant dans un éclair soudain,

Me voilà chauve comme Eschyle

Et comme le fut Siraudin.
Et ma tête, objet illusoire,

Se faisant voir à découvert,

Est comme ces billes d’ivoire

Qu’on fait rouler sur un drap vert.
Sa boîte, à présent nette et lisse,

Est comme une perle d’Ophir,

Et peut s’offrir avec délice

A la caresse du zéphyr.
Ou, s’il fait trop froid, si la bise

Court par les chemins où je vais

Et m’écorche, comme Cambyse

Écorchait les juges mauvais,
Alors, tout noir, comme une mouche,

Me parant et me régalant,

Un gai béret de Scaramouche

Me coiffe de son pli galant.
Il me capitonne, il me sauve,

Il déroute le vent amer,

Et si je l’ôte, je suis chauve

Comme une roche dans la mer.
Oui, moi que sait bercer la vague

Et qui lui parle quand je veux,

Je n’ai qu’une parenté vague

Avec Hélène aux beaux cheveux.
Je n’ai pas épuisé ma veine

Et je reste droit comme un pin,

Mais je laisse enfin cette vaine

Luxuriance à Richepin.
Toujours le poëte, dont l’âme

Est un gouffre plein de ciel bleu,

Se souvient d’avoir bu la flamme

Et baisé le charbon de feu.
Réchauffe-moi, sainte brûlure!

Amis, tout est bien comme il est,

Car avec ou sans chevelure,

Un bon chanteur n’est jamais laid.
Et celle qui donne la manne

Avec son baiser meurtrier,

La Muse a voulu sur mon crâne

Faire la place du Laurier!
11 décembre 1888.

Théodore de Banville

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