Bonjour, Monsieur Courbet

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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En octobre dernier j’errais dans la campagne.

Jugez l’impression que je dus en avoir :

Telle qu’une négresse âgée avec son pagne,

Ce jour-là la Nature était horrible à voir.
Vainement fleurissaient le myrte et l’hyacinthe ;

Car au ciel, écrasant les astres rabougris,

Le profil de Grassot et le nez d’Hyacinthe

Se dessinaient partout dans les nuages gris.
Des bâillements affreux défiguraient les antres,

Et les saules montraient, pareils à des tritons,

Tant de gibbosités, de goîtres et de ventres,

Que je les prenais tous pour d’anciens barytons.
Les fleurs de la prairie, espoir des herboristes !

? Car ce siècle sans foi ne veut plus qu’acheter, ?

Semblables aux tableaux des gens trop coloristes,

Arboraient des tons crus de pains à cacheter.
Et, comme un paysage arrangé pour des Kurdes,

Les ormes se montraient en bonnets d’hospodar ;

C’étaient dans les ruisseaux des murmures absurdes,

Et l’on eût dit les rocs esquissés par Nadar !
Moi, saisi de douleur, je m’écriai : « Cybèle !

Ouvrière qui fais la farine et le vin !

Toi que j’ai vue hier si puissante et si belle,

Qui t’a tordue ainsi, Nourrice au flanc divin ? »
Et je disais : « O nuit qui rafraîchis les ondes,

Aurores, clairs rayons, astres purs dont le cours

Vivifiait son cœur et ses lèvres fécondes,

Étoiles et soleils, venez à mon secours ! »
La Déesse, entendant que je criais à l’aide,

Fut touchée, et voici comme elle me parla :

« Ami, si tu me vois à ce point triste et laide,

C’est que Monsieur Courbet vient de passer par là ! »
Et le sombre feuillage évidé comme un cintre,

Les gazons, le rameau qu’un fruit pansu courbait,

Chantaient : « Bonjour, monsieur Courbet le maître peintre !

Monsieur Courbet, salut ! Bonjour, monsieur Courbet ! »
Et les saules bossus, plus mornes et plus graves

Que feu les écrivains du Journal de Trévoux,

Chantaient en chœur avec des gestes de burgraves :

« Bonjour, monsieur Courbet ! Comment vous portez-vous ? »
Une voix au lointain, de joie et d’orgueil pleine,

Faisait pleurer le cerf, ce paisible animal,

Et répondait, mêlée aux brises de la plaine :

« Merci ! Bien le bonjour. Cela ne va pas mal. »
Tournant de ce côté mes yeux, ? en diligence,

Je vis à l’horizon ce groupe essentiel :

Courbet qui remontait dans une diligence,

Et sa barbe pointue escaladant le ciel !
Octobre 1854.

Théodore de Banville

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