Ceux qui meurent et Ceux qui combattent – VI. Nostalgie

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Oh ! lorsque incessamment tant de caprices noirs

S’impriment à la rame,

Et que notre Thalie accouche tous les soirs

D’un nouveau mélodrame ;
Que les analyseurs sur leurs gros feuilletons

Jettent leur sel attique,

Et, tout en disséquant, chantent sur tous les tons

Les devoirs du critique ;
Que dans un bouge affreux des orateurs blafards

Dissertent sur les nègres,

Que l’actrice en haillons étale tous ses fards

Sur ses ossements maigres ;
Qu’au bout d’un pont très lourd trois cents provinciaux

Tout altérés de lucre,

Discutent gravement en des termes si hauts

Sur l’avenir du sucre ;
Que de piètres Phœbus au regard indigo

Flattent leur Muse vile,

Encensent d’Ennery, jugent Victor Hugo,

Et font du vaudeville ;
Lorsque de vieux rimeurs fatiguent l’aquilon

De strophes chevillées,

Que sans nulle vergogne on expose au Salon

Des femmes habillées ;
Que chez nos miss Lilas, entre deux verres d’eau,

Un grand renom se forge,

Que nos beautés du jour, reines par Cupido,

N’ont pas même de gorge ;
Qu’entre des arbres peints, à ce vieil Opéra

Dont on dit tant de choses,

Les fruits du cotonnier qu’un lord Anglais paiera

Dansent en maillots roses ;
Que ne puis-je, ô Paris, vieille ville aux abois,

Te fuir d’un pas agile,

Et me mêler là-bas, sous l’ombrage des bois,

Aux bergers de Virgile !
Voir les chevreaux lascifs errer près d’un ravin

Ou parcourir la plaine,

Et, comme Mnasylus, rencontrer, pris de vin,

Le bon homme Silène ;
Près des saules courbés poursuivre Amaryllis

Au jeune sein d’albâtre,

Voir les nymphes emplir leurs corbeilles de lys

Pour Alexis le pâtre ;
Dans les gazons fleuris, au murmure de l’eau,

Dépenser mes journées

À dire quelques chants aux filles d’Apollo

En strophes alternées ;
Pleurer Daphnis ravi par un cruel destin,

Et, fuyant nos martyres,

Mieux qu’Alphesibœus en dansant au festin

Imiter les Satyres !

Février 1842.

Théodore de Banville

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