Consommation
Quand Juin cruel nous brûle en ses autodafés,
Paris boit devant les cafés.
Lorsque le ciel, criblé de feux, mêle en ses voiles
Les becs de gaz et les étoiles,
Tout le Paris charmant, amoureux, endetté,
Sous les chaudes brises d’été,
Devant les cafés d’or absorbe des breuvages
Abominablement sauvages.
Là vieillards, jeunes gens, filles sous leurs toisons,
Dégustent d’étranges poisons
Que leur servent Léon, Anatole, Amédée,
Et qui feraient peur à Médée.
Ils goûtent ces boissons d’enfer, pleines de maux,
Qu’on hume avec des chalumeaux,
Des bières qu’on brassa sans houblon et sans orge
Et qui vous déchirent la gorge,
De tristes eaux-de-vie et de mort, et des rhums
Qui bravent tous les décorums,
Et d’affreux curaçaos troublants, et des absinthes
Faites pour ravir des Esseintes.
O frères, avec ces boissons qui vous ont nui,
Vous buvez le féroce ennui,
L’accablement stupide et le dégoût maussade,
Les voluptés à la Sade.
Sous l’azur, sous le gouffre étoilé du ciel bleu
Éclaboussé d’astres de feu,
Quelque sombre liqueur, au noir Léthé pareille,
Vous hypnotise, et votre oreille,
Stupidement, ainsi qu’un refrain de pantoum,
Entend retentir l’affreux: Boum!
Oh! nos pères buvaient, avec sa pourpre insigne,
Le sang généreux de la vigne!
Sages, ils remplissaient leurs verres de nos vins
Rouges, réchauffants et divins,
Et caressaient, avec de gais épithalames
Leurs bonnes commères de femmes.
Le Plaisir et la Joie étaient leurs échansons;
Ils chantaient de belles chansons;
Ils ne connaissaient pas, ces gens qui savaient boire,
Les diables bleus ni l’humeur noire;
Mais leurs fils malheureux s’intoxiquent, par ton,
Devant des palais de carton.
Là les Parisiens, dans le beau mois des roses,
Boivent la haine et les névroses.
Et souvent, déguisée en garçon de café,
Spectre galamment attifé,
Arborant sur son blanc visage de squelette
Des favoris en côtelette
Et de blanc cravatée ainsi que pour un bal,
Avec la fierté d’Annibal
Jetant son cri farouche à ceux qu’elle terrasse,
La Mort dit: Boum! versez, terrasse!