Controverse
Ayant du loisir, et comptant
M’amuser, je dis au vieux Diable:
Enfin tu dois être content;
La chose est irrémédiable.
Nargue le ciel aérien!
Tu triomphes; l’heure est sonnée
Où la Femme ne vaut plus rien,
Grâce à toi, qui l’as façonnée.
Il se mêle un subtil poison
Au vin doré qu’elle nous verse.
Blanche sous la folle toison,
Elle est horriblement perverse.
Femelle avec ou sans petits,
Que mènent des instincts atroces,
Elle a les hideux appétits
De toutes les bêtes féroces.
Elle est panthère aux yeux ardents,
Elle est lionne en son repaire,
Elle est tigresse aux fortes dents;
Elle est aussi chatte et vipère.
Elle obéit à son destin,
L’expérience nous l’enseigne,
Lorsque pour son joyeux festin
Elle dévore un coeur qui saigne.
Elle apprête ses trahisons
Avec une rare sagesse,
Et gratte ses démangeaisons,
Par atavisme, étant singesse.
Toi qui l’adoptas dès hier
Et qui l’avais prise en sevrage,
Bon Diable, tu dois être fier
Et satisfait de ton ouvrage.
Telle ma colère parlait.
Mais le Diable, que rien n’entame,
Dit: Je suis, comme un autre Hamlet,
Assez mécontent de la Femme.
Contre elle acharné vainement,
Je n’ai fait que de la bouillie
Pour les chats, et l’événement
Trompe encor ma ruse vieillie.
Faute d’avoir assez bien lu
Ce qui concerne cette amante,
Vieux logicien, j’ai voulu
En faire un monstre: elle est charmante!
Son visage a l’éclat du jour
Par qui tout se métamorphose,
Et le souffle pur de l’Amour
Vient fleurir ses lèvres de rose.
Par leurs mystérieux accords
De fruit vermeil où l’on va mordre,
Les chairs saines de son beau corps
Nous affirment le rhythme et l’ordre.
Lorsque je veux l’exciter par
La saveur des piments étranges,
Son âme se révolte, car
Elle est fière comme les Anges.
Même, son regard enchanté
Ravit les astres et les sphères,
Car elle est bonne; et sa bonté
Ne fait plus du tout mes affaires
Elle est chaste encor, dans l’émoi
Où l’a jetée un mot trop leste,
Et conserve, en dépit de moi,
Une ingénuité céleste.
18 mars 1890.