Controverse

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Ayant du loisir, et comptant

M’amuser, je dis au vieux Diable:

Enfin tu dois être content;

La chose est irrémédiable.
Nargue le ciel aérien!

Tu triomphes; l’heure est sonnée

Où la Femme ne vaut plus rien,

Grâce à toi, qui l’as façonnée.
Il se mêle un subtil poison

Au vin doré qu’elle nous verse.

Blanche sous la folle toison,

Elle est horriblement perverse.
Femelle avec ou sans petits,

Que mènent des instincts atroces,

Elle a les hideux appétits

De toutes les bêtes féroces.
Elle est panthère aux yeux ardents,

Elle est lionne en son repaire,

Elle est tigresse aux fortes dents;

Elle est aussi chatte et vipère.
Elle obéit à son destin,

L’expérience nous l’enseigne,

Lorsque pour son joyeux festin

Elle dévore un coeur qui saigne.
Elle apprête ses trahisons

Avec une rare sagesse,

Et gratte ses démangeaisons,

Par atavisme, étant singesse.
Toi qui l’adoptas dès hier

Et qui l’avais prise en sevrage,

Bon Diable, tu dois être fier

Et satisfait de ton ouvrage.
Telle ma colère parlait.

Mais le Diable, que rien n’entame,

Dit: Je suis, comme un autre Hamlet,

Assez mécontent de la Femme.
Contre elle acharné vainement,

Je n’ai fait que de la bouillie

Pour les chats, et l’événement

Trompe encor ma ruse vieillie.
Faute d’avoir assez bien lu

Ce qui concerne cette amante,

Vieux logicien, j’ai voulu

En faire un monstre: elle est charmante!
Son visage a l’éclat du jour

Par qui tout se métamorphose,

Et le souffle pur de l’Amour

Vient fleurir ses lèvres de rose.
Par leurs mystérieux accords

De fruit vermeil où l’on va mordre,

Les chairs saines de son beau corps

Nous affirment le rhythme et l’ordre.
Lorsque je veux l’exciter par

La saveur des piments étranges,

Son âme se révolte, car

Elle est fière comme les Anges.
Même, son regard enchanté

Ravit les astres et les sphères,

Car elle est bonne; et sa bonté

Ne fait plus du tout mes affaires
Elle est chaste encor, dans l’émoi

Où l’a jetée un mot trop leste,

Et conserve, en dépit de moi,

Une ingénuité céleste.
18 mars 1890.

Théodore de Banville

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