Cythère

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Comme j’écoutais dans les flots

Gémir une plainte lointaine,

Avec de langoureux sanglots

Qui s’éloignent, le capitaine
Me dit: Si tu veux évoquer

Les vieilles âmes de la terre,

Ami, nous allons débarquer

Dans l’ancienne île de Cythère.
Mais tu n’y verras pas Cypris,

La vierge guerrière et déesse,

Marcher près des splendides lys

Qui la frôlaient d’une caresse.
Aphroditè, fermant ses yeux,

Dort, aussi pâle que l’ivoire,

Et le voile mystérieux

A couvert sa prunelle noire.
Son fier palais, ses blanches tours

Sont des ruines et des tombes,

Et les aigles et les vautours

Ont déchiqueté ses colombes.
Veuve de ses belles forêts,

Avec ses eaux qui s’évaporent,

Cythère est un impur marais

Où des monstres s’entre-dévorent.
Et dans un horrible repos

Où le vent orageux se joue,

De longs serpents et des crapauds

Y rampent, tout couverts de boue.
Tandis qu’un bel azur serein

Se mirait dans l’eau convulsive,

Tel s’attristait le vieux marin

Quand nous atteignîmes la rive.
Alors, silencieux, cachés,

Dans le chemin que nous suivîmes,

Parmi les ombres des rochers,

Voici les choses que nous vîmes.
L’île n’était qu’un champ de fleurs

Aux mille corolles écloses,

Où s’harmonisaient les couleurs

Des violettes et des roses.
Et Celle à qui plaisent nos voeux,

La grande âme de la nature,

Dont l’air baigne les doux cheveux,

Cypris à la belle ceinture;
Cypris, vierge, ravie encor

Dans sa divinité première,

Qui porte une couronne d’or

Brillant à son front de lumière,
Parut. Ses yeux noirs pleins d’éclairs,

Pareils au brasier qui flamboie,

Emplissaient follement les airs

D’éblouissement et de joie.
Et tandis que se reposaient,

Oubliant leurs douces querelles,

Et tendrement s’entrebaisaient

De glorieuses tourterelles,
Des zéphyrs jaloux et tremblants,

Errant parmi les feuilles basses,

Venaient adorer ses pieds blancs.

Derrière elle marchaient les Grâces.
Or le vieux matelot me dit,

En prenant des mines confuses:

Ah! poëte, enchanteur, bandit!

C’est bon, je reconnais tes ruses.
Telle qu’une fleur de lotus

Qu’a brisée un tranchant de glaive,

Certes, je sais bien que Vénus

Est dans la nuit et dans le rêve.
Mais c’est toi, perfide enchanteur

Baisé par les rouges aurores,

Musicien, rimeur, chanteur,

Assembleur des verbes sonores;
C’est toi, c’est ta vaillante amour,

Toujours si fidèle et si forte,

Qui la ramène dans le jour

Et qui l’empêche d’être morte!
6 janvier 1891.

Théodore de Banville

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