Déja vus
Céline, avec ses cheveux roux
Dont la fauve splendeur nous flatte,
Darde ses yeux pleins de courroux,
Pareille à la bête écarlate.
Magnifique dans le printemps
Comme une grande fleur qui bouge,
Elle charme les airs flottants,
En portant son ombrelle rouge.
Albert, l’enragé promeneur,
Qui rappelle, en chantant sa gamme,
Le prince Hamlet, dans Elseneur,
La rencontre et lui dit: Madame,
Il faut employer les moments
Sans penser aux futurs désastres.
Voulez-vous de clairs diamants
Pareils à des cassures d’astres?
Entrons là, chez le joaillier;
Je veux être certain qu’on m’aime.
Acceptez un riche collier.
Céline répond: Tout de même.
Oui, dit Albert, nous penserons
A des rivières sans pareilles
Et, pendant que nous y serons,
Nous prendrons des pendants d’oreilles.
Mais on va parfois à Choisy!
Êum;tes-vous de celles qu’allèche
Un équipage bien choisi?
Bon. Je vous offre une calèche.
Je prétends vous la décocher,
Svelte et volant comme la foudre,
Avec chevaux, groom et cocher
Obèse, rouge sous la poudre.
Voulez-vous, madame, un hôtel
Tout en briques, dans l’avenue
De Villiers? Ce sera l’autel
Où rira Vénus toute nue.
Et ce n’est pas tout, les poneys!
Il faut que le soleil arrose
Chez vous, des tableaux japonais
Où flambe le ciel rouge et rose.
Céline, qu’afflige une toux
Sèche, répond: C’est une affaire.
Cher monsieur, j’accepterai tous
Les dons que vous voulez me faire.
Et vous ne perdrez pas au troc!
Jeune homme, pâle comme Oreste,
C’est bien. Je prendrai tout en bloc,
Chevaux, diamants et le reste.
Mais, avec les riches appas
Qui sont mon armure de guerre,
Vous ne me reconnaissez pas?
Vous m’avez vue enfant naguère.
Vous me courtisiez déjà, car
Jamais vous ne vous en privâtes,
Quand mes pieds nus s’évadaient, par
Les trous béants de mes savates.
J’avais l’air d’un jeune filou;
Ma peau brune vous semblait douce.
Je peignais avec un vieux clou
Ma folle chevelure rousse.
Et vous, faisant tous les métiers
Pour un gain souvent illusoire,
Couchant sous les ponts, vous étiez
Un petit voyou dérisoire.
10 juin 1890.